Violences faites aux femmes : la question du traumatisme psychologique

Les troubles psychotraumatiques d'une femme victime de violences sont peu connus et mal pris en charge par les professionnels de santé. Des mécanismes neurobiologiques de survie sont pourtant à l'origine de ces manifestations.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le
Violences faites aux femmes : la question du traumatisme psychologique

Outre les conséquences médicales bien connues des violences répétées que subissent les femmes, les manifestations psychologiques passent souvent au deuxième plan.

Le traumatisme vécu par les victimes entraîne pourtant de véritables troubles psychotraumatiques ayant des conséquences dramatiques sur la santé des femmes.

Le comportement parfois incompréhensible des femmes victimes de violences répétées, comme le fait de rester avec son mari violent ou l'indifférence qu'ont certaines femmes vis-à-vis de leurs situations dramatiques, est souvent incompris par le médecin, non formé à la psychotraumatologie.

Or, ces manifestations découlent de mécanismes neurobiologiques constatés sur des IRM cérébrales, d'après les travaux du Dr Muriel Salmona, psychiatre, psycho-traumatologue et présidente de l'Association Mémoire traumatique et Victimologie.

Des réactions neurobiologiques normales face à une situation anormale

Face à un stress extrême comme un viol ou des violences conjugales, le cerveau mettrait en place des mécanismes de défense et de sauvegarde permettant à la victime de diminuer sa souffrance physique et psychique, d'après le Dr Muriel Salmona.

Il s'agirait de "réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences", selon la psychiatre.

Le choc entraînant un état de sidération du psychisme, comme si la personne était paralysée, l'empêchant de réagir de façon adaptée.

Suite au traumatisme violent, le circuit émotionnel dans le cerveau (le système limbique) disjoncterait comme le ferait un circuit électrique.

Le stress induirait une surproduction d'hormones du stress, l'adrénaline et le cortisol, responsables de manifestations physiques au niveau cardiaque et neurologique pouvant mettre en jeu le pronostic vital (tachycardie, anxiété, parfois infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral).

En cas de stress extrême, le cerveau disjoncte comme un circuit électrique

Comme le ferait un circuit électrique pour stopper le survoltage, le cerveau se court-circuite et fait disjoncter l'ensemble du circuit émotionnel de manière à diminuer la production des hormones du stress et éviter que la personne ne meure de stress.

Le cerveau se met alors à produire des hormones comme la morphine et kétamine-like pour "calmer " l'état de stress, entraînant un état d'analgésie totale. Même si le traumatisme continue (par exemple, pendant un viol), les sécrétions de morphine et de kétamine-like permettent à la personne de ne plus ressentir aucune douleur physique et psychique.

Cette anesthésie émotionnelle et physique génère chez la victime, une dissociation, c'est-à-dire un sentiment d'étrangeté, de dépersonnalisation avec l'impression de devenir spectatrice de la situation. Elle paraît comme indifférente à ce qui lui arrive.

Par ailleurs, ce mécanisme de protection du cerveau permet de déconnecter l'amygdale cérébrale (structure cérébrale du circuit émotionnel responsable des réponses sensorielles et émotionnelles) de l'hippocampe (autre structure qui gère la mémoire).

La mémoire traumatique ou une véritable ''bombe à retardement''

Dans le cas d'un choc ponctuel et modéré, l'amygdale s'allume et envoie les informations à l'hippocampe qui permet d'intégrer les informations et de les garder en mémoire.

Alors qu'en cas de choc extrême comme un viol ou des violences répétées, la disjonction entre l'amygdale et l'hippocampe entraine une suractivation de l'amygdale et une extinction de l'hippocampe.

L'hippocampe ne peut plus faire son travail de gestion de la mémoire. Toute la mémoire sensorielle et émotionnelle reste alors piégée dans l'amygdale et ne peut pas devenir une mémoire autobiographique stockée normalement dans l'hippocampe.

Cette mémoire piégée dans l'amygdale, appelée mémoire traumatique, entraîne de façon incontrôlée des flash-back, des reviviscences des scènes violentes, avec le même sentiment de terreur et de douleurs physiques et psychiques.

Dr Salmona qualifie la mémoire traumatique d'une véritable "bombe à retardement" prête à exploser à n'importe quel moment, quand un stimulus rappelle le traumatisme. De plus, la disjonction de l'hippocampe va entrainer des troubles mnésiques plus ou moins importants.

Le Dr Salmona montre dans ses travaux que ces dysfonctionnements du circuit émotionnel sont visibles sur des IRM cérébrales.

Une mauvaise interprétation du comportement de la victime

Les victimes sont hantées par cette mémoire traumatique responsable d'une souffrance atroce aussi bien psychique que physique.

Provoquant le même état de stress extrême que lors du choc initial, elle déclenche à nouveau la sécrétion d'hormones du stress (adrénaline, cortisol) pouvant, une fois de plus, mettre en jeu le pronostic vital. Leur vie devient un enfer avec une sensation de danger et de peur permanentes.

Pour éviter de faire exploser cette bombe qu'est la mémoire traumatique, la victime va mettre en place des conduites de contrôle ou d'évitement.

Des conduites dites dissociantes lui permettent de retrouver un état d'anesthésie physique et émotionnelle. Cela peut passer par la prise de drogues ou d'alcool.

Pire encore, elle peut se remettre dans des situations de danger (automutilations, hétéro agressivité, mises en danger sexuelles, jeux dangereux,…) pour déclencher l'état de stress initial afin de retrouver cette dissociation sans émotion et sans douleur (par la sécrétion de morphine ou kétamine-like).

La femme victime peut alors paraître comme indifférente ou déconnectée de la réalité.

Ces conduites sont bien évidemment inconscientes et ne sont pas comprises par l'entourage ou les professionnels l'a prennant en charge (médecins, psychologue, policiers). La victime s'isole encore plus, se retrouve démunie, seule face à ses démons.

Mieux comprendre les mécanismes pour une meilleure prise en charge

Les troubles psychotraumatiques comme la mémoire traumatique ou la dissociation sont des phénomènes mal connus des médecins car ils ne sont pas formés sur la psychotraumatologie.

Les professionnels interprètent souvent ces troubles comme intrinsèques à la victime alors qu'ils ne lui sont pas liés mais sont la conséquence des mécanismes neurobiologiques secondaires au choc émotionnel extrême induit par la violence des actes subis.

Par sentiment d'impuissance, par manque de temps, par conviction personnelle ou par méconnaissance, les médecins se résignent à soigner les symptômes physiques décrits par la victime.

Sans prise en charge, ces troubles psychotraumatiques perdureront dans le temps et hanteront la vie de la victime. Or, ces manifestations peuvent s'atténuer par des séances de psychothérapie grâce à la plasticité du cerveau.

Des consultations de psychotraumatologie pour les femmes victimes de violences avec des psychologues formés à la psychotraumatologie ont vu le jour en 2007 en Seine-Saint-Denis. Devant leur succès, d'autres consultations ont été créées. Aujourd'hui, on compte dix-sept consultations en Seine-Saint-Denis.

Enfin, la formation des professionnels sur le psychotrauma et ses conséquences est primordiale pour prendre en charge de façon globale une victime de violences. C'était l'une des mesures annoncée en 2013 par la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkhacem.  

A ce jour, même si le gouvernement s'est engagé à inverser la tendance et que certaines facultés intègrent déjà des cours spécifiques dans leur cursus, la lutte contre les violences faites aux femmes bute encore aujourd'hui sur une formation insuffisante des médecins. 

Sources :

VOIR AUSSI :