Apnée : quel impact sur le cerveau ?
Depuis de nombreuses années, les médecins s'intéressent aux apnéistes professionnels. Souvent, leurs capacités pulmonaires sont supérieures à celles du commun des mortels. Lors d'une apnée, les plongeurs subissent des changements physiologiques : le coeur ralentit et la circulation sanguine change pour irriguer en priorité les organes nobles, indispensables à notre survie. Mais que se passe-t-il dans le cerveau des apnéistes de haut niveau ? Leur conscience est-elle modifiée par les apnées ? Guillaume Néry, un des plus célèbres d'entre eux, s'est prêté aux expérimentations d'un neurologue belge.
Guillaume Néry est un des meilleurs apnéistes français, plusieurs fois champion du monde de sa discipline. Son record personnel est de 125 mètres sous la surface de la mer. Mais avec des milliers d'apnées tout au long de sa carrière, il a privé son cerveau d'oxygène pendant plusieurs heures. En garde-t-il des séquelles ? Son cerveau s'est-il adapté à ces apnées répétées ?
Pour répondre à ces questions, Guillaume Néry a fait le déplacement jusqu'à Liège en Belgique pour rencontrer le professeur Laureys, l'un des meilleurs explorateurs du cerveau et de la conscience humaine. "Le cerveau est une des dernières pistes encore inexplorées dans notre activité, l'apnée. Et je pense que c'est une des clés pour comprendre quelles vont être les futures limitations. C'est assez passionnant d'aller dans ces profondeurs", confie l'apnéiste.
Pour comprendre le fonctionnement de son cerveau lorsqu'il s'arrête de respirer, il tente de réaliser une apnée longue avec un casque sur la tête. Les 250 capteurs du casque permettent d'enregistrer l'activité électrique de son cerveau en temps réel. "Une des grandes questions est de savoir comment le cerveau produit les pensées, les perceptions", explique le Pr Steven Laureys, neurologue, "Guillaume Néry est aussi un athlète de l'esprit, et avoir ce genre de champion nous permet de tester certaines hypothèses. Si on n'observe rien chez un plongeur d'élite comme Guillaume, il ne sert à rien de réaliser des observations chez les autres".
Pour se préparer à une apnée, Guillaume Néry a besoin de réaliser des exercices respiratoires pendant une trentaine de minutes. Son record personnel est de 7 minutes 42. Mais en milieu hospitalier, les conditions sont très différentes de ce qu'il connaît. Pendant l'apnée, le corps s'adapte. Le rythme cardiaque normalement autour de 60 battements par minute descend peu à peu. Et la quantité d'oxygène dans le sang diminue fortement. Guillaume réalise une apnée de 7 minutes et 15 secondes, une performance énorme, mais il faudra plusieurs jours pour analyser les résultats de son électroencéphalogramme.
Un autre examen, une IRM, permet à Guillaume Néry de savoir si des années d'apnées ont modifié son cerveau. Les premières images arrivent très vite et elles sont plutôt rassurantes comme le confirme le Dr Luaba Tshibanda, neuroradiologue : "Chez des personnes qui sont dans des situations d'anoxie, c'est-à-dire qui manquent d'oxygène, on observe les noyaux gris centraux. C'est dans cette région qu'on va rechercher des anomalies parce que ces régions sont très sensibles au manque d'oxygène. Et chez Guillaume, tout est parfaitement normal".
L'examen reprend en apnée. Et au bout de quelques minutes, le neurologue lui montre l'intérieur de son cerveau. "On voit que l'activité cérébrale, les connexions sont vraiment différentes de tout ce que l'on a vu jusqu'à présent avec une communication entre différents réseaux qui est vraiment beaucoup plus intense", note le Pr Laureys. Un chercheur heureux de ces premiers résultats et un champion rassuré. Malgré les apnées, son cerveau reste intact.
La science a horreur des cas particuliers. Alors dans les prochains mois, le professeur Laureys espère pouvoir faire venir à Liège d'autres apnéistes professionnels pour étudier ce qu'il se passe au cœur de leur cerveau.