Votre mois de naissance influe-t-il sur votre état de santé ?
Selon certaines études épidémiologiques, à l’échelle d’une population, il existerait un lien entre les mois de naissance et la fréquence d’apparition de certaines maladies. De telles recherches attirent l’attention des médias avec la régularité des saisons. Nul besoin de sortir les planètes des astrologues du placard pour expliquer ces données… et pour s'en méfier. Décryptage.
Selon une étude de l'Université de Cambridge réalisée sur 450.000 dossiers médicaux, et relayée par de nombreux médias en mi-octobre 2015, les enfants nés durant les mois d'été grandiraient en meilleure santé que les autres. En juin, une autre étude avait attiré l’attention de la presse : en passant au crible informatique 1,7 million de dossiers médicaux, des chercheurs nord-américains auraient identifié 55 pathologies "significativement plus représentées" chez des personnes nées certains mois de l'année.
Neuf mois de développement fœtal
Les maladies ne jettent pas un coup d’œil à nos extraits de naissance avant de nous foudroyer ; et les planètes des astrologues n’ont pas non plus à être ressorties des placards. Selon les chercheurs qui se sont sérieusement penchés sur ces données, les légers sur-risques observés pourraient s’expliquer par une exposition précoce à différents virus, bactéries ou substances présentes de façon saisonnière dans l’environnement, ou encore secrétées de façon irrégulière par l’organisme maternel.
Se focaliser sur l’événement constitué par la naissance est tentant, mais il semble donc plus pertinent de nous intéresser au mois de conception et aux neuf mois de gestation qui ont suivi…
Par exemple, chez l’être humain, l’hormone connue sous le nom de vitamine D (plus précisément la forme D3) est synthétisée par la peau sous l'action des rayons solaires UV-B. La production hormonale est donc dépendante de l’exposition au soleil. Or, de nombreuses études avancent qu’une moindre exposition maternelle au soleil durant les derniers stades de développement fœtaux entraînerait des déficits durables chez l’enfant – potentiellement liés au développement de certaines pathologies (dysfonctionnement du thymus, par exemple). A noter alors que, dans les cas où cette association est confirmée[1], la latitude de résidence est probablement aussi importante que la période de gestation. Plus on se rapproche de l’Equateur, moins cet "effet mois" peut être détecté et, dans l’hémisphère Sud, les périodes associées à un sur-risque sont décalées de 6 mois, les saisons étant inversées.
Des études sur les allergies aux acariens ou aux pollens ont suggéré des sur-risques similaires dès le début des années 1950, appuyées par des hypothèses analogues. Le soleil y est moins incriminé que les périodes de propagation des différents allergènes.
D’autres corrélations étonnantes semblent pourtant plus difficiles à établir. Des synthèses d’études remarquées ont affirmé un lien entre saisons, développement intra-utérin et certains troubles mentaux, avançant timidement l’hypothèse d’expositions à certains virus ou certaines bactéries durant le développement. L'hypothèse de variations dans la production de sérotonine (liée à l’exposition lumineuse) a également été proposée par quelques auteurs.
Enfin, selon d'autres chercheurs, certaines corrélations pourraient avoir une explication purement sociologique. Typiquement : l’âge auquel un enfant peut être admis à l’école est indépendant de la maturité de son organisme ; or, c'est dans ce contexte qu'augmentent les interactions sociales... et les échanges viraux et bactériens !
1,7 million de dossiers médicaux explorés
Jusqu’à récemment, moins d’une quarantaine de corrélations entre pathologies et mois de conception/développement/naissance avaient été proposées dans la littérature scientifique. Un article publié ce début juin dans le Journal of the American Medical Informatics Association présente un intérêt particulier, en ce qu’il ajoute 16 nouveaux candidats à la liste déjà établie.
Les chercheurs ont procédé d’une façon aussi efficace que peu subtile : ils ont passé au crible informatique 1.749.400 dossiers médicaux des patients d’un hôpital de New-York, la machine recensant maladie par maladie le mois de naissance des patients concernés. Les données ont ensuite été ajustées en fonction de la fréquence mensuelle des naissances à l’échelle d’une année[2].
Sur 1.688 pathologies/symptômes considérés, "55 sont apparues corrélées au mois de naissance", expliquent les chercheurs. Une part importante de ces résultats correspond à des liens déjà identifiés dans la littérature scientifique[3] ; d’autres sont inédits. Parmi eux, citons le risque de fibrillation auriculaire (sur-risque maximal pour les naissances en mars, risque le plus diminué pour les naissances en octobre), ou celui d’angine (avril/septembre).
Ceci n'est pas un diagnostic médical.
Des corrélations qui font hausser le sourcil
Mais certaines corrélations révélées par l’ordinateur sont particulièrement surprenantes. A en croire les dossiers médicaux, les personnes nées en octobre seraient plus souvent piquées par des insectes que celles nées en février ; celles nées en décembre seraient plus sujettes à des ecchymoses – que celles nées en avril… Plus étonnant encore : les femmes nées en novembre tendraient à faire plus de fausses couches que celles nées six mois plus tard. Novembre verrait également naître des personnes légèrement plus actives sexuellement, si l’on en croit l’analyse des fréquences de consultations pour des MST. A moins qu’il ne s’agisse d’une plus grande susceptibilité à certains virus ?
L’étrangeté de ces corrélations doit alerter le lecteur critique. Et tant que d’autres études indépendantes ne sont pas parvenues à des résultats analogues, l’hypothèse de coïncidences ne doit pas être écartée.
Certaines corrélations pourraient dissimuler des liens de causalité complexes. Commentant des données sur les problèmes liés à la grossesse et les troubles de l’attention, les chercheurs notent ainsi que "la dépression affecte la fertilité et la capacité d'apprentissage".
En outre, il faut souligner que la cohorte est limitée à un territoire (New York) et que certains phénomènes sont peut-être conditionnés par des variations environnementales très locales (rejet de polluants à des périodes particulières, maladies saisonnières locales[4], etc.). La validation des données doit donc être effectuée localement, mais aussi dans d’autres territoires. La comparaison avec des données issues de zones géographiques de climat, de végétation et de population comparables pourrait révéler des associations surprenantes[5] !
Pas de calendrier du sur-risque sur Allodocteurs.fr
Il faut donc être extrêmement prudent à la lecture de cette étude. Nos lecteurs n’étant (pour l’immense majorité) pas new-yorkais, et les données n’étant pas corroborées indépendamment, nous ne publierons pas un "calendrier du sur-risque" aussi anxiogène que mensonger.
De toute façon, nul ne peut changer le jour où il a été conçu, ni celui où il est né. En revanche, rappellent avec sagesse quelques commentateurs de l’étude, il nous est tout à fait possible de prendre des mesures pour réduire significativement nos risques de contracter un grand nombre de maladies : avoir une alimentation saine, de l’exercice, modérer sa consommation d’alcool et éviter celle de tabac contrebalanceront allégrement la plupart des sur-risques potentiels liés aux saisons de notre vie fœtale.
Sources : Birth Month Affects Lifetime Disease Risk : a Phenome-Wide Method. M.R. Boland, et coll. J. Am. Med. Inform. Assoc, juin 2015. doi:10.1093/jamia/ocv046 et données complémentaires.
Season of birth is associated with birth weight, pubertal timing, adult body size and educational attainment: a UK Biobank study. F.R. Day et coll. Helyon, oct. 2015. doi :10.1016/j.heliyon.2015.e0003
[1] En dépit d’une corrélation confirmée entre la probabilité de développer une sclérose en plaques (SEP) et le taux de vitamine D individuel, l’influence du taux maternel de vitamine D reste lui très controversé. Les auteurs de l’article publié dans le Journal of the American Medical Informatics Association (JAMIA) soulignent qu’un peu plus de la moitié des études sur le sujet infirment ce lien. Difficile, à ce jour, d’expliquer pourquoi un nombre non négligeable plaide en faveur de cette association. Le crible informatique des chercheurs n’a, pour sa part, identifié aucune corrélation entre SEP et mois de naissance.
[2] Les naissances ne sont pas uniformément réparties sur une année, notamment car certaines périodes (vacances, fêtes) sont plus propices à la conception ! Un pic de naissance est ainsi régulièrement observé entre fin septembre et début octobre… neuf mois après le nouvel an !
[3] Citons notamment l’asthme (sur-risque maximal pour les naissances en septembre, risque le plus diminué pour les naissances en janvier) et ses formes exacerbées (juin/février), les conjonctivites (août/mai), l’otite (septembre/janvier) ou la susceptibilité à la bronchite virale (octobre/mars). Les auteurs notent au passage que certaines des pathologies les plus étudiées par leurs pairs (notamment les allergies, rhinites), ne sont pas celles pour lesquelles les corrélations sont les plus flagrantes.
[4] "Certaines conditions associées aux mois de naissance pourraient être dues au fait que l'enfant est né dans une période à haut risque, par exemple, les bronchiolites automnales", commentent ainsi les chercheurs.
[5] Il faut enfin noter que les données étudiées n’intègrent aucune donnée génétique ou environnementale qui pourrait offrir un cadre d’analyse plus large. Avec un peu d’imagination, on pourrait postuler que le paramètre d’âge d’entrée à l’école (évoqué plus haut) désigne artificiellement des enfants comme "plus précoces", les plaçant dans une situation sociale favorisant certains comportements… L’hypothèse en vaut une autre.
Attention à ne pas tirer de conclusions hâtives : dans tous les cas évoqués, les chercheurs nord-américains font état d’un sur-risque statistique. Être né (ou avoir été conçu) tel ou tel mois ne prédestine pas à une pathologie, de même qu’être né hors des périodes identifiées par les chercheurs ne vous prémunit de rien.
Si ce sur-risque est significatif du point de vue mathématique (c’est-à-dire qu’il n’est pas un simple reflet d’une répartition aléatoire), il est presque toujours faible ! Pour peu que les pathologies étudiées soient rares, l’information intéresse surtout les épidémiologistes pour améliorer leurs modèles (prendre en compte ce facteur quand ils cherchent à identifier le rôle d’une substance dans le développement de ladite maladie, par exemple)…