Maladies neurodégénératives : vers une meilleure prise en charge de la douleur ?
C'est l'une des mesures du Plan maladies neurodégénératives : mieux prendre en charge les douleurs présentes dans les maladies d'Alzheimer et de Parkinson et la sclérose en plaques. Un colloque*, organisé le 12 mai 2016, a rassemblé les différents acteurs pour mieux comprendre ces souffrances invalidantes, leurs mécanismes, leur traitements et les voies de recherche.
Le 12 mai 2016, l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé a rassemblé patients, associations, médecins, chercheurs, autour d'une réflexion commune sur les douleurs des maladies neurodégénératives. Un symptôme invisible, très invalidant, aux multiples répercussions personnelles, sociales et professionnelles.
On distingue classiquement les douleurs inflammatoires (ou nociceptive) des douleurs neuropathiques. Les premières sont caractérisées par une réponse adaptée du corps à un traumatisme, un choc, une brûlure,… Elles sont soulagées par des antalgiques, comme le paracétamol, l'aspirine, les opiacés (dérivés de la morphine). Les secondes sont liées à une lésion ou une destruction des nerfs, d'une zone du cerveau ou de la moelle épinière... Ce sont elles dont souffrent le plus souvent les patients atteints de maladie de Parkinson, Alzheimer ou de sclérose en plaques, même si les deux types de douleur peuvent cohabiter. Elles prennent la forme variée de fourmillements, de picotements, d'étau, de brûlure,… Elles posent le délicat problème d'être difficilement soulagées par les traitements.
Un symptôme commun aux maladies neurodégénératives
La douleur est un symptôme qui n'est pas systématique, mais fréquent dans ces maladies.
D'après le Dr Brefel-Courbon, deux tiers des malades de Parkinson[1] souffrent de façon chronique, quel que soit le stade de la maladie. La douleur survient souvent précocement, parfois dix ans avant la rigidité, le tremblement ou l'akinésie (ndlr : difficulté à initier les mouvements). Les malades souffrent de crampes, de raideurs (dans le cou notamment), de sciatique ou encore de contractures anormales, au niveau d'un pied, par exemple.
La douleur s'aggrave avec l'évolution de la maladie. La L-dopamine, traitement de référence de la maladie de Parkinson, a un effet sur certaines douleurs, qui est partiel en augmentant le seuil de survenue de la douleur. La douleur d'origine neuropathique nécessite, elle, l'adjonction d'autres traitements, comme certains anti-épileptiques ou anti-dépresseurs. La stimulation cérébrale profonde soulagerait également les douleurs.
Symptôme fréquent et invalidant de la sclérose en plaques, la douleur toucherait 60% des patients[2]. D'après l'intervention du Pr Clavelou, elle englobe les céphalées, les douleurs neuropathiques à type d'étau, de striction, de brûlures, de fourmillements,… mais aussi la spasticité douloureuse, la névralgie du trijumeau (douleur dans le visage, suivant le trajet du nerf trijumeau), la douleur en lien avec une inflammation du nerf optique, etc. Les patients souffrent souvent dès que la maladie commence et plusieurs types de douleur peuvent être associées. Le traitement sera d'autant plus efficace que le type, nociceptif ou neuropathique, sera déterminé. Outre la prise en charge classique, le Pr Clavelou signale des pistes intéressantes : l'effet antalgique de certains traitements de fond, la stimulation magnétique transcrânienne, une molécule agissant sur certains récepteurs, "à sphingosine 1 phosphate".
S'il est une maladie où la douleur est extrêmement compliquée à diagnostiquer et à soigner, c'est bien la maladie d'Alzheimer. Tout simplement parce qu'elle n'est pas exprimée par le patient et qu'elle est souvent oubliée… Elle pose le problème de l'évaluation, le patient ne disant pas sa douleur, ou celle-ci étant localisée à un autre endroit que celui montré lorsque le schéma corporel est perturbé (le patient perd la conscience de son corps et des différentes parties). Trop peu diagnostiquée, elle est souvent insuffisamment traitée. Il s'agit donc d'un défi majeur à relever par les soignants : améliorer le dépistage et la prise en charge. De plus, selon le Pr Bouhassira, spécialiste de la douleur, il est possible que les patients avec une maladie d'Alzheimer souffrent davantage de douleurs que les autres, du fait d'une altération des zones de contrôle de la douleur.
[1] Prevalence of pain in Parkinson's disease: a systematic review using the modified QUADAS tool. Mov disorders. 2012 Apr;27(4):480-4. doi: 10.1002/mds.24054.
[2] Prevalence and natural history of pain in adults with multiple sclerosis: systematic review and meta-analysis. Foley et all. Pain. 2013 May;154(5):632-42. doi: 10.1016/j.pain.2012.12.002.
De multiples répercussions
La douleur chronique a un retentissement majeur sur la qualité de vie. Elle perturbe la vie sociale et personnelle et elle entrave la vie professionnelle.
La fatigue est majorée et elle provoque souvent de l'anxiété et une dépression, que la maladie chronique favorise déjà... De surcroît, c'est un symptôme extrêmement compliqué à expliquer aux proches, mais la parole est indispensable pour faire comprendre ce que le patient vit.
Une prise en charge globale
La prise en charge de la douleur chronique est complexe aussi bien sur le plan diagnostique que thérapeutique : "elle demande la confrontation de plusieurs disciplines et les centres de la douleur ont l'avantage de proposer des équipes composées de médecins, de psychologues, de kinésithérapeutes, d'hypnothérapeutes,..." analyse le Pr Bouhassira. Ils prennent en effet en charge toutes les dimensions de la douleur physique et psychologique, qui ont un impact sur le sommeil, l'anxiété, la dépression pour ne citer qu'eux. "Nous envisageons l'ensemble du patient, y compris les aspects socio-professionnels", reprend-il.
Cependant, peu de gens ont accès aux structures de la douleur, qu'il s'agisse de consultations ou de centres. Selon le médecin, la douleur chronique concerne 12 à 15 millions de Français et les centres n'ont la capacité d'accueillir que 300.000 mille personnes. Certes, toutes les douleurs chroniques ne requièrent pas de consultations spécialisées, mais le Pr Bouhassira déplore des délais d'attente de six mois pour une première consultation (de trois mois pour celles de suivi) : "les centres sont saturés et nous sommes vraiment préoccupés par la pérénité de nos structures."
La prise en charge actuelle
Les douleurs neuropathiques ne répondent pas aux antalgiques usuels, mais plutôt à certains antidépresseurs et antiépileptiques, qui ont une action propre et isolée sur la douleur. Une caractéristique essentielle à expliquer aux patients qui n'en comprennent pas l'utilité et par conséquent n'adhèrent pas au traitement… Eventuellement, en cas de non efficacité, des morphiniques peuvent être proposés.
Les centres de la douleur proposent en complément une approche non médicamenteuse : avec des psychologues, mais aussi de l'acupuncture, de l'hypnose, de la sophrologie ou encore de la méditation,… "Ces techniques ne sont pas miraculeuses, mais elles sont complémentaires et ont un intérêt évident, détaille le Pr Bouhassira. Avec elles, les patients ont un moyen de contrôler la douleur et de la dompter."
Autre piste intéressante pour le spécialiste, la neuromodulation. Elle peut être transcutanée électrique, il s'agit alors d'un simple boitier avec des patches à poser par le patient sur les zones douloureuses. Elle a l'avantage d'être facile d'utilisation et peut se faire n'importe où. Pour les douleurs résistantes aux traitements, la neuromodulation médullaire consiste à stimuler des structures proches de la moelle épinière par le biais d'électrodes. Elles sont implantées près de la moelle épinière, lors d'une petite intervention chirurgicale sous anesthésie locale et un boîtier implanté au niveau abdominal est réglé par le médecin selon l'intensité et la durée des stimulations voulues.
Les traitements locaux présentent également un intérêt : "des patches d'anesthésique locaux (comme la lidocaïne ou plus récemment, la capsaïcine), sont collés sur la région douloureuse durant 1 heure, décrit le médecin. La capsaïcine agit sur un récepteur très spécifique au niveau des fibres de la douleur et détruit le récepteur. L'effet dure alors trois mois le temps que le récepteur se régénère.
Dans sa présentation sur la maladie de Parkinson, le Pr Durif a signalé le rôle bénéfique de la stimulation cérébrale profonde sur les douleurs. Réservée aux formes graves ne répondant pas aux traitements, cette technique a révolutionné la prise en charge des complications de la maladie (mouvements anormaux, fluctuations des symptômes moteurs comme la rigidité ou les tremblements). De plus, la stimulation augmente les seuils de la douleur, habituellement abaissés (un malade a mal pour un seuil plus bas de stimulations). Autre effet positif : les patients tolèrent mieux leurs douleurs.
Le sport, d'une grande aide
Les douleurs conduisent fréquemment à l'arrêt du sport. Or l'activité physique adaptée à l'état de santé est intéressante : gymnastique douce, marche nordique, natation, vélo,… leur pratique a le mérite d'entretenir la musculature, de chasser l'anxiété et les idées noires, d'apporter une certaine détente.
Les méthodes de bien-être sont grandement appréciées des patients qui souffrent : la sophrologie, le yoga, le taï-chi le chi-kong pour ne citer qu'eux, amènent un apaisement aussi bien physique que moral.
La recherche dans les douleurs neuropathiques
Le constat réjouira les patients qui souffrent : la recherche sur les douleurs s'active dans le monde. "Ça bouge ! confirme le Pr Bouhassira. Il y a beaucoup de chercheurs qui travaillent sur les mécanismes ou des chercheurs cliniques, comme moi, qui cherchent à proposer aux patients de nouvelles solutions."
L'équipe du médecin étudie la stimulation magnétique transcrânienne. Déjà utilisée dans la dépression et validée dans le cadre de la fibromyalgie, elle tente de déterminer si elle pourrait l'être dans les douleurs neuropathiques. En pratique, une bobine envoie un champ magnétique et active les centres de modulation de contrôle de la douleur. "Cette technique a l'avantage de ne pas être invasive car on ne touche pas le patient, s'enthousiasme le Pr Bouhassira. Elle est indolore, n'a pas d'effets indésirables et permet dans certains cas de diminuer ou d'arrêter les médicaments." Une séance est efficace quelques jours ; l'effet de quatre à cinq séances en une semaine se prolonge une à deux semaines.
L'administration locale de toxine botulique est aussi à l'étude. Bien connue pour son intérêt contre les rides ou dans les troubles urinaires, elle a aussi une action sur les fibres sensitives et bloquent la transmission dans les fibres sensorielles. "On vient de montrer des effets sur certaines douleurs neuropathiques par des injections sous la peau, décrit le spécialiste. Une série d'injections peut avoir un effet jusqu'à trois mois…"
* La douleur dans les maladies neurodégénératives, 12 mai 2016. Aviesan, Institut ITMO Neurosciences, sciences cognitives, neurologie, psychiatrie.
Où en est la recherche ?
Les douleurs dans les maladies neurodégénératives sont peu étudiées, d'après le Pr Barrot, neurobiologiste et directeur de recherche au CNRS : "Entre 1 à 5% de l'effort de recherche fondamentale sur ces maladies sont consacrés aux douleurs, c'est très faible", estime-t-il.
Mais il y a un point positif : on est sur une pente ascendante même si cela reste marginal…"Les chercheurs se penchent en effet de préférence sur le mécanisme de la neuro-dégénérescence, afin de parvenir à bloquer la maladie, mais ils négligent les symptômes secondaires, qui altèrent pourtant la qualité de vie des patients.
D'après le chercheur, il faudrait redistribuer une partie de l'argent de la recherche sur l'étude des symptômes secondaires et leurs traitements. "Les patients doivent mettre la pression sur les fondations et les pouvoirs publics pour faire avancer les choses et initier la recherche dans ce domaine", analyse-t-il.