Avoir peu de grains de beauté sur le bras n'immunise pas contre le mélanome…
Depuis le début de la semaine, de nombreux sites et journaux ont relayé sous des titres trompeurs une étude britannique évoquant un lien entre "nombre de grains de beauté sur le bras" et "risque de mélanome". Une rapide mise au point s'impose.
Les articles se suivent, et les titres se ressemblent : "Onze grains de beauté sur le bras droit ? Vous risquez un mélanome", "11 grains de beauté sur le bras droit : et si c'était le signe d’un mélanome ?"…
L'étude dont les journaux se sont ainsi fait l’écho ne posait pas cette question, et n’arrivait pas non plus à ce genre de conclusions. L’objectif des chercheurs était, en effet, de trouver une méthode rapide pour estimer le nombre total de grains de beauté sur le corps d’un individu. Un décompte a été effectué sur 17 zones différentes du corps de 3.694 femmes à peau blanche. L’analyse des chercheurs montre que le nombre de grains de beauté sur l’avant-bras droit est proportionnel à celui présent sur l’ensemble du corps[1].
Pourquoi décompter les grains de beauté (ou nævus) ? Et quel est le lien avec le mélanome ?
Premièrement, environ 30% des mélanomes dérivent de grains de beauté préexistants (le plus fréquemment, depuis un grain de beauté atypique[2]) Chaque année, environ un Français sur 34.000 voit l’un de ses grains de beauté devenir un mélanome[3]. Si l’on considère que chaque nævus est un site d’émergence potentiel, la probabilité de développer un mélanome augmente logiquement avec leur nombre.
Toutefois, l’épidémiologie montre que cette probabilité augmente plus vite encore. Une importante méta-analyse publiée en 2005 montre que les personnes ayant entre 16 et 40 grains de beauté sur l’ensemble du corps ont un risque accru de l’ordre de 50% de développer un mélanome, comparés à ceux qui en ont moins de 16. Mais ce risque relatif est de l’ordre de 600% chez les personnes ayant entre 101 et 120 grains de beauté sur le corps ![4]
De façon notable, les mélanomes dont il est ici question ne dérivent pas tous d’un nævus. L’une des hypothèses explicatives est que les phénomènes gouvernant l’apparition des grains de beautés (ceux-ci apparaissent généralement durant l’enfance, le processus pouvant se poursuivre à l’âge adulte, jusqu’à environ 40 ans) ont des racines communes avec ceux favorisant l’émergence des mélanomes.
Les cliniciens savent donc depuis longtemps que les personnes présentant beaucoup de grains de beauté sur l’ensemble du corps requièrent une surveillance particulière. Décompter la totalité des nævus étant fastidieux, l’astuce – intuitive – consistant à estimer le nombre total en regardant une petite partie du corps est suggérée dans les études depuis au moins vingt ans. Les travaux publiés cette semaine viennent confirmer que le bras, et même l’avant-bras, sont des sites représentatifs de l’ensemble de la surface de la peau.
Des titres ambigus, voire trompeurs
On le comprend, contrairement à ce que titrent de multiples médias, avoir onze grains de beauté sur le bras droit n’est pas un signe de mélanome. Avoir onze grains de beauté sur le bras droit n’est pas non plus le seuil à partir duquel un individu devient "à risque" de développer ce type de cancer.
Il ne faut donc pas courir chez votre dermatologue si vous décomptez onze taches sur votre bras. Surtout, il ne faut pas vous croire "immunisé" si votre score est inférieur à celui annoncé dans la presse.
Insistons sur le fait que l’examen du bras n’apporte qu’une information statistique, utile à l’identification de profils à risque. Il ne permet absolument pas de détecter un mélanome apparu ailleurs sur le corps. C’est fréquemment au patient qu’il revient d’identifier tout changement dans la taille, la forme, la couleur ou la texture d'un grain de beauté, sur l’ensemble de la surface de sa peau, et d’en informer son médecin.
Ajoutons, pour conclure, que le nombre de nævus n’est pas le facteur prépondérant du risque de mélanome. Parmi les autres paramètres influençant le risque, la clarté de la peau, des yeux, la couleur des cheveux (blonds ou roux), le fait d’avoir eu par le passé la peau brûlée par un coup de soleil, influencent eux aussi fortement le risque de cancer de la peau.
A l’heure actuelle, la meilleure façon de prévenir tous les types de cancer de la peau (mélanome, carcinome cutané) reste d'éviter la surexposition au soleil et le recours aux lampes à UV. Une protection solaire d’indice égal ou supérieur à 20 est très vivement recommandée.
Source : Prediction of high naevus count in a healthy UK population to estimate melanoma risk. Ribero S, Zugna D, Osell-Abate S, et al. British Journal of Dermatology. 19 oct. 2015. doi:10.1111/bjd.14216
[1] Dans le groupe étudié, les personnes présentant sept nævus sur le bras droit avaient plus de 50 nævus sur le corps entier. Pour onze nævus, le nombre total dépassait 100.
[2] On différencie le nævus commun du nævus dysplasique (ou atypique). Le nævus dysplasique est généralement plus grand que le nævus commun (plus de 5mm de diamètre). Il possède des frontières irrégulières, et sa teinte peut être un mélange de plusieurs couleurs (allant du rose au brun foncé).
[3] Le mélanome touche chaque année un peu plus d’un Français sur 10.000.
[4] L’ordre de grandeur reste le même que l’on différencie ou non les types de nævus.
A noter que l’étude portant sur des femmes à peau blanche, les données publiées pourraient ne pas être pertinentes pour les hommes, ni généralisables à tous les profils de peau.