Les espoirs de la thérapie cellulaire pour traiter l'incontinence anale
Des chercheurs de l'Inserm et du CHU de Rouen viennent de mettre au point une thérapie cellulaire de restauration de la capacité des sphincters à se contracter chez des patients souffrant d'incontinence anale sévère. Un premier essai thérapeutique prometteur pour les personnes atteintes de ce trouble fonctionnel particulièrement invalidant.
Alors que l’incontinence anale touche, en France, un million de personnes, dont 350.000 avec une forme sévère, des chercheurs de l’Inserm et du CHU de Rouen viennent de mettre au point une thérapie cellulaire qui redonne aux muscles sphinctériens leur capacité à se contracter correctement.
Les jeunes femmes particulièrement touchées
L'incontinence anale, particulièrement invalidante, entraine de nombreuses difficultés pour ceux qui en sont atteints, que ce soit sur le plan personnel, sociétal ou professionnel.
Elle est provoquée par une rupture ou une dysfonction des sphincters, les muscles qui permettent à la sphère anale de se contracter correctement. Généralement, c’est le sphincter responsable de la contraction volontaire, le sphincter strié, qui est touché, même si son homologue, le sphincter lisse, peut également être affecté.
"Contrairement à une idée reçue, l’incontinence anale ne touche pas que les personnes âgées", souligne le Pr Olivier Boyer, chercheur à l’unité Inserm 1234 "Physiopathologie, auto-immunité, maladies neuromusculaires et thérapies régénératrices", associée à la Faculté de Médecine de l’Université de Rouen Normandie. Elle affecte, en effet, beaucoup de femmes jeunes qui viennent d’accoucher : 10 à 15% d’entre elles en souffrent dans les semaines qui suivent l’accouchement et 4 à 5% gardent une incontinence chronique sévère.
Injection des myoblastes
L'idée initiale des chercheurs de l’unité Inserm 1234 de Rouen était d’utiliser des cellules souches adultes particulières, les myoblastes, qui, en se différenciant dans le sphincter après injection chez des patients souffrant d’incontinence anale, donnent naissance à des fibres musculaires fonctionnelles.
Ils se sont donc rapprochés du laboratoire de biothérapies et du service de chirurgie digestive du CHU de Rouen pour mettre au point un essai clinique de thérapie cellulaire chez des jeunes femmes souffrant d’incontinence anale sévère et réfractaires aux traitements conventionnels (mesures diététiques, intervention chirurgicale éventuelle pour recoudre le sphincter abîmé, renforcement musculaire du périnée par biofeedback). Vingt-quatre patientes, réparties en deux groupes, ont été incluses dans cet essai. La moitié d’entre elles recevait un placebo, l’autre moitié, le traitement à base de myoblastes.
Les chirurgiens de l’équipe du Professeur Francis Michot, du CHU de Rouen, ont commencé par prélever un fragment musculaire au niveau de la cuisse de chacune des patientes, fragment qu’ils ont mis en culture pour obtenir un nombre suffisant de myoblastes. Ceux-ci ont ensuite été injectés, sous contrôle échographique, dans le sphincter défaillant afin de permettre la régénération musculaire. Les patientes recevant le traitement placebo ont reçu des injections sans myoblastes.
Après l’intervention, un suivi du score d’incontinence (appelé score de Cleveland) des participantes a été effectué à six mois et un an. A un an, le traitement avait fonctionné chez sept personnes sur douze (58%) dans le groupe thérapie cellulaire, avec un score d’incontinence réduit de façon significative (de 15 à 6,5 points), et chez seulement une patiente sur douze (8%) dans le groupe placebo (score d’incontinence moyen stable à 14 points).
Au vu de ces résultats, les patientes du groupe placebo qui le souhaitaient ont pu bénéficier, par la suite, d’une injection de leurs myoblastes qui avaient été cultivés et cryoconservés (à -196°C) avant la première intervention. Les résultats de cette injection étaient similaires à ceux du premier groupe.
Comparer la technique au traitement de référence
"La prochaine étape sera de faire un essai clinique de comparaison de la thérapie cellulaire avec le traitement de référence qu’est la neurostimulation sacrée", précise le Pr Boyer. Cette technique de stimulation électrique présente, en effet, plusieurs inconvénients : "elle nécessite l’implantation, sous la peau, d’un pacemaker relié à une électrode ; il faut changer la batterie tous les 4 à 5 ans, ce qui a pour effet de rappeler au patient son handicap et de lui imposer une nouvelle intervention chirurgicale ; il reste difficile de passer une IRM du fait de l’implantation de métal dans l’organisme et les patients ne doivent pas franchir les portiques des aéroports", souligne le chercheur. Enfin, et surtout, "ce traitement présente un taux d’échec des patients implantés de 50% sur le long terme", insiste-t-il. Le suivi des premières patientes traitées par thérapie cellulaire permet même d’avoir un recul à 3-4 ans confirmant l’efficacité du traitement, selon le Dr Boyer.
Prudence, cependant : "Nos travaux n’en sont encore qu’au stade des essais cliniques", insiste le médecin. "Il nous faut encore trouver les financements et obtenir les autorisations pour mener à bien notre nouveau projet d’essai thérapeutique, qui prévoit d’inclure 150 patients répartis dans cinq centres dans toute la France", précise-t-il.
Inutile, donc, de vous précipiter chez votre médecin pour bénéficier de cette nouvelle thérapeutique. Il faudra encore attendre quelques années avant que ces premiers résultats, certes très prometteurs, puissent être disponibles pour les patients atteints d’incontinence anale sévère. Même si, comme le souligne le Dr Boyer, "l’idée est de montrer qu’il est possible de diffuser cette technique le plus largement possible".