Sarkozy, salades et purgatifs
Invité du 20 heures de France 2, Nicolas Sarkozy a commenté l'entre-deux tours des Régionales de bien curieuse façon : "C'est pas passe-moi la salade, je t'envoie la rhubarbe !" a-t-il lancé à David Pujadas. Le président du parti Les Républicains s'est pris les pieds dans son dictionnaire des proverbes, et dans son précis de pharmacie.
Pour faire son petit effet dans les salons et sur les plateaux de télévision, rien ne vaut une expression surannée lâchée sur le ton de la conversation. Encore faut-il que la maxime nous soit familière, car on a tôt fait de s’emmêler les pinceaux.
Des nombreuses expressions empruntées à la pratique médicale, celle qu'a cherché à placer Nicolas Sarkozy ("Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné") n'est pas la plus courante. Les afficionados de Brassens l'ont déjà entendu au détour de son Lèche-cocu, et beaucoup de pharmaciens en connaissent l’origine.
Au même titre que l'aloès, rhubarbe et séné sont des plantes traditionnellement utilisées pour leurs vertus purgatives (plus occasionnellement pour leurs propriétés laxatives). Le séné est, plus précisément, un arbrisseau dont les fruits et les feuilles ont longtemps été proposés par les pharmaciens pour réaliser des infusions.
"Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné" décrit donc un échange de bons procédés - en l’occurrence, un échange de traitements destinés à vider l'organisme. De nos jours, on parle plus volontiers de renvoi d'ascenseur.
Une expression équivalente est "passez moi la casse, je vous passerai le séné", la casse désignant la pulpe d'une variété d'Acacia, le cassier, à laquelle la tradition pharmacologique attribue également les mêmes vertus.
A la troisième scène de l'acte 3 du Médecin malgré lui de Molière, le personnage de Sganarelle lance d’ailleurs à Jacqueline : "Ah nourrice de mon cœur, je suis ravi de cette rencontre : et votre vue est la rhubarbe, la casse et le séné qui purgent toute la mélancolie de mon âme."
Ce à quoi l'intéressée répond : "Par ma figué, Monsieu le Médecin, ça est trop bian dit pour moi : et je n’entends rien à tout votte latin".
S'il s'était souvenu de Molière, David Pujadas, présentateur du 20 heures de France 2, aurait pu élégamment répondre au leader politique : "Monsieur Sarkozy, c’est trop mal dit pour moi, et je n’entends rien à toutes vos salades" !