Violences sexuelles : comment s'en remettre ?
Sous-évaluées, insuffisamment prises en charge, les violences sexuelles sont souvent dévastatrices, sur le plan psychologique et/ou physique. Il est pourtant possible de s'en remettre avec une prise en charge adaptée.
Des violences sexuelles sous-évaluées
Les violences sexuelles (VS) prennent plusieurs formes. Si le viol est sans doute la forme la plus connue et la plus redoutée des femmes, elle est loin d'être la seule et la plus courante. Trop élevée, leur fréquence est pourtant très difficile à estimer : 93.000 femmes déclarent avoir été violées ou avoir subi une tentative de viol chaque année aux services de police et gendarmerie et dans 90%, l'agresseur est connu de la victime. Moins de 10% des victimes de violences sexuelles ou sexistes déposeraient plainte d'après le Ministère de l'intérieur. L'association Stop aux violences sexuelles, qui organise les Assises des violences sexuelles, évoquent les chiffres d'une femme sur quatre, un homme sur six, un enfant sur cinq. Une étude européenne réalisée en 2014 avance, elle, un chiffre d'une femme sur trois concernée par les VS.
Etonnamment, les définitions des violences sexuelles ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre et ne disposent pas d'une peine identique. En France, la loi distingue le viol (défini par toute pénétration vaginale, anale ou orale, d'un objet, d'un pénis, d'un doigt sous l'effet de la menace, de la contrainte ou de la surprise), des agressions sexuelles représentées par les attouchements, exercés avec ou sans violence, sur une personne non consentante ou ne pouvant y consentir en public. Le harcèlement sexuel reposant sur la soumission dans le cadre de rapports hiérarchiques et/ou de dépendance et l'exhibition relève aussi de cadres juridiques.
Des caractéristiques mieux connues
Grâce à l'engagement de professionnels de santé impliqués et des victimes, certaines caractéristiques se sont dégagées des témoignages.
La victime connaît souvent son agresseur. Le plus souvent (jusqu'à 75% des cas dans certaines évaluations), la violence sexuelle est intra-familiale, commise par quelqu'un de la famille ou péri-familiale par un proche.
La violence sexuelle est rarement isolée. Une première violence augmente le risque d'en être victime à nouveau : la personne agressée est fragilisée et cette fragilisation se perçoit dans sa posture, dans sa façon d'être, par d'autres agresseurs, qui repèrent hélas facilement une proie.
Elle ne concerne pas les femmes uniquement. Les petits garçons et les hommes ne sont pas à l'abri des VS. Du fait de la place obligatoirement solide, imposée par la société, un homme ose très rarement faire part de son agression ; la culpabilité et la honte qui font suite à la violence sexuelle sont encore plus marquées que chez les victimes femmes, ce qui complique la demande d'aide.
L'agresseur peut être une femme. Tabou optimal s'il en est, oui les femmes peuvent agresser sexuellement. Qu'elles soient mères, nourrices, enseignantes…
Le traumatisme est souvent oublié, refoulé, dénié. Lorsque la violence est perpétrée sur des mineurs, elle tombe dans l'oubli : soit parce que la victime n'est pas consciente qu'il s'agit d'une réelle agression (par exemple, si on ne lui a pas appris qu'un adulte n'a pas à toucher son sexe, un enfant ne peut pas mesurer le caractère illicite et traumatisant du geste), ou parce qu'en parler l'expose à un danger qui lui semble ingérable, ou encore parce que l'agression est vécue de façon dissociée, ce qui est expliqué par des mécanismes neurologiques.
Lorsqu'un traumatisme atteint un seuil d'émotions trop élevé et douloureux, le cerveau déclenche une sorte de mécanisme de survie en le faisant tomber dans l'oubli. C'est l'amnésie post-traumatique. Elle est caractérisée par une dissociation, définie comme une perturbation des fonctions tels que la perception, la mémoire, l'identité. La victime peut alors être confuse, désorientée dans le temps et dans l'espace, elle est incapable d'encoder de nouvelles informations et présente des troubles de l'attention et du jugement (ce qui peut lui porter préjudice ultérieurement car on lui reprochera de ne pas bien se souvenir des faits et de s'être trompée lors d'une première déposition). Cette amnésie peut durer de quelques jours à quelques semaines ou années. Elle a d'abord été observée chez les soldats, elle l'a été dès les années 70 puis chez les victimes de violences sexuelles. Aussi appelée amnésie dissociative, elle est reconnue par le DSM-5, ou Diagnostic and statistical Manual of Mental Disorders 5
Pour mieux comprendre cette amnésie, certains utilisent la théorie des 3 cerveaux ou théorie de MacLean, remise en question par les neuroscientifiques. Le cerveau serait composé du néocortex, qui se consacre à toutes les fonctions intellectuelles, telles que le langage, la réflexion, l'attention,... et du cerveau émotionnel, aussi appelé cerveau reptilien, plus ancien et animal, qui s'occupe du traitement des émotions. Selon l'intensité de la peur, l'émotion est traitée différemment par le cerveau et lors des violences sexuelles, la peur est telle que le traumatisme n'est pas encodé selon les circuits habituels. L'amygdale, qui sert à former les souvenirs faisant partie du cerveau émotionnel, sera chez les victimes hyperexcitable. Elle est alors saturée et inefficace et n'encode pas le souvenir du traumatisme. La théorie de MacLean n'est plus validée grâce aux neurosciences, qui ont montré que les structures composant les 3 cerveaux sont en réalité interconnectées les unes aux autres. Il n'en reste pas moins que l'amnésie dissociative est bien réelle et observée chez de nombreuses personnes victimes de traumatisme.
Des répercussions graves
Dans son livre Comment guérir après des violences sexuelles ?, Violaine Guérin, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles, compare ces violences à une bombe à fragmentation, qui explose dans le corps des victimes : il est plus facile de comprendre alors pourquoi tant de complications physiques et psychologiques découlent de ces violences. S'il est très difficile d'évaluer précisément la fréquence des troubles, un constat est clair : leurs répercussions sont multiples et d'après une revue de la littérature réalisée par le Dr Thomas lors des premières Assises en 2014, les victimes ont plus souvent recours aux professionnels de santé et leurs hospitalisations sont plus nombreuses.
Un certain nombre de conséquences psychologiques ont lieu : anxiété, dépression, baisse de l'estime de soi, troubles du sommeil, troubles du comportement alimentaire, addictions, automutilation, suicide, affections psychiatriques. Sur le plan somatique, le médecin recense une augmentation de la fréquence de troubles gynécologiques (douleurs pelviennes chroniques ou lors des rapports sexuels notamment, mais aussi fibromes dont le risque serait augmenté à l'âge adulte en cas de violences sexuelles dans l'enfance d'après une étude), de troubles gastro-intestinaux, de douleurs chroniques (céphalées, migraine, fibromyalgie…).
Certaines études ont également montré une augmentation du risque de cancer du sein et du poumon, de l'obésité (en lien avec les troubles du comportement alimentaire et de l'humeur et avec l'inactivité physique), de diabète, de maladies cardio-vasculaires,… Les violences sexuelles joueraient également un rôle de facteur déclenchant dans les maladies allergiques et auto-immunes, notamment thyroïdiennes.
De plus, on estime qu'une victime sur 100.000 décèdent des suites des violences sexuelles...
Quelle prise en charge ?
Il est urgent de réagir, qu'il s'agisse des pouvoirs publics, des professionnels de santé, des citoyens : la violence sexuelle est assimilable à un virus d'après le Dr Guérin, tellement elle se propage de façon similaire à un virus, sur un mode épidémique et il n'est pas rare que les victimes se transforment en agresseurs… et c'est en adoptant une prise en charge similaire à celle de la vaccination qu'il sera possible de diminuer ces agressions en insistant sur l'information, la prévention et la tolérance zéro vis-à-vis des agressions en rendant ces délits imprescriptibles (sans prescription). Les agresseurs doivent également être pris en charge par une psychothérapie.
Le dépistage des violences sexuelles par les médecins est la pierre angulaire : savoir poser les bonnes questions et offrir un espace sécurisé au patient ou à la patiente afin de l'inciter à parler sont un prérequis à la prise en charge. L'orienter ensuite vers une équipe multidisciplinaire, habilitée à prendre en charge ces traumatismes.
Des soins personnalisés
Le Dr Guérin a mis en place un protocole de soins rapides, d'une durée de 18 à 24 mois, afin d'aider les victimes à reprendre goût à la vie, en les faisant participer activement à leur renaissance. Elle explique dans son livre Comment guérir après des violences sexuelles ? que la thérapie doit avoir lieu le plus tôt possible, avant que les troubles ne se chronicisent. Elle fera passer le patient par des chocs inévitables en ravivant le traumatisme et les angoisses, mais elle leur apprendra surtout à affronter ces peurs et à en sortir victorieux, en bénéficiant du soutien de l'équipe. Le protocole de soins sera personnalisé.
Après un état des lieux des dégâts, qui fera prendre conscience au patient de l'impact du traumatisme sur sa vie, le patient fait le point sur ses ressources personnelles avec l'équipe mais aussi sur les proches sur lesquels il pourra compter durant ce travail éprouvant.
Le parcours de réparation comporte dix thèmes :
- prendre conscience des limites de son corps, en apprenant à protéger son espace de sécurité ;
- travailler sur ses bases, son ancrage (étape qui génère de la force et a un impact positif sur le capital confiance ;
- se protéger, en prenant soin de soi, de son corps, de ses proches et de ses enfants ;
- reprendre confiance en soi car un tel traumatisme a un retentissement destructeur sur la confiance en soi ;
- trouver un équilibre ;
- réfléchir sur le contrôle et le lâcher prise (qui est souvent très difficile à faire pour une personne qui a mis en place des mécanismes de défense et un "hypercontrôle") ;
- construire, réfléchir à ce que l'on veut faire de sa vie ;
- penser à la notion de contrat et d'engagement, envers soi-même bien sûr mais aussi envers les autres ;
- gagner : une étape qui oblige à se confronter à sa peur de gagner, de perdre, à sa propre valeur… ;
- libérer : étape qui autorise à exprimer sa colère et ses envies de meurtre, dans un espace sécurisé, à lancer une procédure judiciaire qui permettra à certaines victimes de guérir et à construire son nouveau projet de vie.
Le protocole est bien évidemment adapté à chaque victime et personnalisé. Un travail de groupe peut avoir lieu après une phase aigue où le travail est uniquement individuel avec le thérapeute et l'équipe.
La réparation du corps, incontournable
Ce travail n'est pas uniquement psychologique, le parcours de soins des victimes inclut la réparation du corps, une étape incontournable puisque le traumatisme a eu lieu dans ce corps meurtri. D'après l'intervention de Sabine Seguin-Massuelle, "il peut passer par les thérapies corporelles, qui servent alors à exprimer les émotions, à mettre l'histoire en dehors, à distance, à ré-intégrer l'enveloppe corporelle qui a été abandonnée lors du traumatisme. L'art-thérapie joue également le même rôle et sert à trouver une voie d'expression différente de la parole, à se libérer de la charge émotionnelle que véhiculent la violence et son souvenir.
"Le travail sur le corps a aussi pour but de restaurer l'enveloppe corporelle, de réparer cette membrane qui a été déchirée lors de l'agression et d'instaurer un périmètre de sécurité autour de la personne". Les massages, la Gestalt-therapie, le travail trans-générationnel, la "végétothérapie", sont d'autres outils utilisables par le thérapeute. A la fin du travail, une fois l'agression et l'agresseur mis dehors, après avoir reconstruit un territoire personnel sûr et protecteur, la victime pourra intégrer à nouveau son corps, ressentir des sensations et retourner au plaisir…
Le sport apprend à la victime à se reconnecter avec son corps en se basant sur son instinct et à utiliser tous ses muscles, tendons, ligaments, sa peau, d'une façon unifiée. Le corps est remis en mouvement, alors qu'il restait souvent immobile et meurtri : les énergies circulent à nouveau. Violaine Guérin accorde une place particulière à l'escrime : protégée par un masque et une tenue, armée d'une épée, sans risque de blesser, la victime pratique un sport qui se fait à distance de l'autre, sans contact, et utilise le même vocabulaire que l'agression sexuelle : toucher, attaquer, défendre, limites, maître,… Dans le parcours, elle propose un atelier comportant 10 séances axées chacune sur un thème de réparation.
L'équithérapie, la natation, les sports de lancer sont particulièrement intéressants. Et suite au travail sur le corps, qui débouche souvent sur une acceptation de la féminité, la socio-esthétique est un outil appréciable en réconciliant les patientes et patients avec leur féminité et masculinité et en contribuant à améliorer l'estime de soi. Ainsi cette étape de réparation du corps aboutira-t-elle à la réconciliation de l'âme et du corps…
Quelle sexualité après des violences sexuelles ?
La sexualité est toujours altérée, "très souvent les gens rapportent des questionnements sur l'hétérosexualité et l'homosexualité", explique le Dr Guérin. Ils sont complètement perdus par rapport à la sexualité". Elle ajoute que même lorsqu'ils ont des rapports sexuels, ils s'aperçoivent au cours du travail thérapeutique que leur sexualité n'est pas si épanouie qu'ils le pensaient, qu'il y a beaucoup de peur, de contrôle.
La violence étant une effraction corporelle, il est fondamental de remettre le corps dans le mouvement, grâce au sport notamment, mais aussi dans le plaisir car les sensations de plaisir sont anesthésiées, perdues. Remettre peu à peu du plaisir dans la vie, d'abord non sexuel, est ainsi un travail progressif, fait avec le ou la sexologue ou psychologue.
par Dr Charlotte Tourmente journaliste à la rédaction d'Allodocteurs.fr