Un surdosage de Viagra® peut-il conduire à l'amputation du pénis ?
● VRAI, MAIS... – Deux périodiques colombiens, cités ces derniers jours par de nombreux médias, rapportent dans leurs éditions du 18 septembre 2013 qu'un patient de l'hôpital de Neiva, dans la région de Huila, aurait été amputé du pénis à la suite d'un surdosage de Viagra®. Aucune confirmation directe n'a encore émané des services colombiens. Cependant l'information est, médicalement, tout à fait plausible.
Une personnalité politique locale, désireuse d'impressionner une conquête, aurait ingéré une dose trop importante de Viagra®, avec pour conséquence une érection douloureuse et persistante. A la suite d'une visite aux Urgences, les médecins diagnostiquent une inflammation, une fracture du pénis et surtout un important risque de gangrène, rendant inéluctable l'amputation de son pénis...
Difficile, de prime abord, de ne pas croire à un canular. En effet, tous les éléments typiques d'une bonne "rumeur" - d'un bon "hoax", dans le jargon de l'Internet - sont ici réunis : un événement survenu dans un pays lointain, impliquant "un notable", qui suite à un geste anodin (ici, la prise d'un médicament très connu) se retrouve mutilé de ses organes génitaux (1). Exactement le genre d'informations "insolites et effrayantes" qu'un lecteur peut facilement souhaiter partager (l'expression adéquate est souvent "colporter") pour prévenir son entourage du grave danger que représente un geste thérapeutique aujourd'hui banalisé.
Pour l'heure, aucune confirmation directe de cette information n'a été faite à un média non colombien par l'Hôpital Universitaire de Neiva. Par ailleurs, les quotidiens ayant couvert le fait divers n'avaient jusqu'à présent jamais bénéficié d'une telle forme de publicité, ni de l'intérêt des grandes revues de presses internationales. Et ce n'est pas la première fois que l'histoire du "Sud-Américain amputé du pénis à la suite de la prise de Viagra®" est citée dans un périodique.
De nombreux doutes doivent légitimement assaillir l'internaute à la lecture d'une telle information. Et pourtant, pour une fois, cet effroyable récit mêlant médecine, pouvoir et mutilation sexuelle s'avère plausible.
Mettons d'emblée de côté la dimension "politique" de l'affaire (plusieurs indices, dans les articles colombiens, laissent d'ailleurs à penser que le fameux "politicien" serait plutôt un fermier ayant eu autrefois de vagues responsabilités locales), pour nous pencher sur ses dimensions strictement médicales.
Un effet secondaire rare du sildénafil (clairement mentionné dans la fiche médicament du Viagra® [pdf]) administré aux doses conventionnelles est une érection douloureuse et persistante au delà de six heures (ce qui est la définition du priapisme). Le même document énonce explicitement que "si le priapisme n'est pas traité immédiatement, il peut en résulter des dommages et une perte définitive des tissus [génitaux]".
En effet, des cas de gangrène du pénis associés au priapisme ont déjà été sporadiquement répertoriés dans la littérature médicale. Bien que relativement rares (2), les cas de gangrène des organes génitaux, induite par une infection bactérienne "consécutives à un traumatisme", sont très bien documentés.
Il est donc bien plausible qu'un pénis, des suites de la surconsommation de Viagra® et d'une fracture, ait pu entrer dans une phase de gangrène ayant rendu nécessaire son amputation. Un cas de priapisme induit par un médicament ayant entraîné de semblables complications a récemment fait l'objet d'une étude dans le journal de l'association américaine de médecine et de psychiatrie. Le médicament concerné était alors un simple antidépresseur, le trazodone. Il n'est donc absolument pas inconcevable qu'une mésaventure analogue ait pu survenir à la suite de la prise d'une substance destinée à soigner les troubles érectiles.
Quelle que soit l'authenticité du cas colombien (et de ces prédécesseurs sur la Toile), il faut rappeler que le priapisme est un effet secondaire rare d'une prise normale de Viagra®, et que la gangrène du pénis est un phénomène plus rare encore. Néanmoins, si d'aventure un consommateur de Viagra® venait à constater une persistance de son érection au delà de quatre heures, consulter les Urgences sans délai est impératif. Et pour une fois, ce conseil n'est pas un hoax…
En savoir plus
Les deux articles colombiens relatifs à ce fait divers :
- Sobredosis de viagra tiene a hombre en apuros (La Nación)
- Giganteño sufrió fractura y amputación de pene (Diario del Huila)
Sur Allodocteurs.fr :
Ailleurs sur le web :
- Hoaxbuster
Première ressource francophone sur les canulars du web.