Ejaculation prématurée : améliorée par les livres ?
L'éjaculation précoce se heurte à une prise en charge longue et laborieuse, comportant une thérapie comportementale et/ou un médicament repoussant le moment où survient l'éjaculation. Réalisant les difficultés auxquelles les patients se heurtent, des sexologues belges ont rédigé un livre de conseils, Lutter contre l'éjaculation précoce, guide pratique, pour les accompagner vers un meilleur contrôle éjaculatoire. Ils l'ont nommé "bibliothérapie".
L'idée d'améliorer l'éjaculation précoce à l'aide d'un livre est née d'un constat : beaucoup d'hommes souffrent d'une éjaculation prématurée mais peu consultent, par méconnaissance des soins disponibles ou par gêne d'aborder le trouble avec un professionnel de santé. "En revanche, tous se documentent sur leur problème et essaient spontanément un certain nombre de techniques, comme la masturbation avant le rapport, par exemple, ou la pratique de pauses, explique le sexologue et psychologue Philippe Kempeneers. Donc si les gens ont à ce point tendance à se documenter, autant leur fournir des informations pertinentes et efficaces !"
L'éjaculation prématurée primaire (présente depuis le début de la vie sexuelle) se définit selon l'ISSM, l'International Society of Sexual Medicine, par une survenue de l'éjaculation en moins de une minute de pénétration, ceci dans plus de 80% des rapports. L'éjaculation prématurée acquise, qui apparaît après une période où l'éjaculation survenait de façon normale, est définie par un délai limité à moins de trois minutes. S'y associent dans les deux types d'éjaculation une incapacité à retarder son éjaculation dans toutes ou presque toutes les pénétrations vaginales, et un retentissement personnel : souffrance psychologique, stress, frustration et/ou évitement de l'intimité sexuelle.
Pour les auteurs de la bibliothérapie, le minutage des durées de pénétration n'a d’intérêt que très secondaire. Ils considèrent le problème comme fort subjectif et préfèrent privilégier la souffrance du patient, sans tenir compte du seuil de une minute, jugé trop restrictif.
Une prise en charge simplifiée
Aujourd'hui, le trouble se soigne à l'aide de deux grands types de traitements : les traitements pharmacologiques, avec la dapoxétine et certains antidépresseurs, et/ou les traitements comportementaux, qui visent à modifier certains comportements sexuels. Les bénéfices de ces traitements ont déjà été évalués par des études cliniques.
Avec l'aide d'une autre sexologue, Sabrina Bauwens, et d'un urologue, Robert Andrianne, Philippe Kempeneers a élaboré une prise en charge simplifiée de l'éjaculation prématurée, axée sur des conseils sexo-comportementaux : " les traitements sexo-comportementaux ont ainsi été réduits à leurs ingrédients les plus efficaces, détaille le sexologue. Ce n'est pas le premier ouvrage sur le sujet mais les précédents étaient plutôt volumineux, parfois peu clairs, et comportaient une foison d’exercices pas toujours utiles".
Une efficacité testée sur 200 patients
La bibliothérapie a été testée auprès d'une série de volontaires recrutés par la presse. "Nous avons observé des améliorations significatives chez les utilisateurs, comparativement à un groupe contrôle, raconte-t-il. Le premier essai portait sur 120 volontaires et le second sur environ 70, soit près de 200 volontaires au total qui ont utilisé et apprécié la formule. C'est suffisant pour une première approche. Même si nous n’avons pas affaire ici à une série importante comme dans les études pharmacologiques, qui portent habituellement sur plusieurs milliers de sujets, nous pouvons sans aucun doute établir une efficacité statistique".
Lors de la première étude, 86% des 120 utilisateurs estimaient leur difficulté au moins légèrement améliorée au bout de six mois. Les améliorations étaient maintenues à l'échéance de douze mois. La seconde étude a comparé la bibliothérapie utilisée seule à une formule associant la bibliothérapie à un bref accompagnement par un professionnel de la santé. Les résultats se sont montrés légèrement supérieurs dans ce second cas : 94% des 32 sujets ayant bénéficié d'un accompagnement complémentaire relataient une amélioration au moins légère, contre 86% des 36 sujets ayant utilisé le manuel seul, sans support thérapeutique.
Philippe Kempeneers reconnaît un biais de recrutement. "Il est possible qu'il y ait eu un biais puisque le recrutement s'est opéré par voie de presse. Notre échantillon n'était peut-être pas représentatif de la population générale, nuance le sexologue. Nous avons principalement touché des hommes présentant un niveau d'éducation moyen à élevé, un profil légèrement différent de ce que l'on trouve dans la population générale. Mais je relativiserais l'impact de ce biais dans la mesure où nous n'avons constaté aucune différence d'efficacité selon le niveau d'éducation".
Autre facteur limitant des études, le taux important d'hommes qui ont cessé de participer aux deux études, ce qui questionne la portée générale des résultats.
Et en cas d'inefficacité ?
D'après l'auteur, le livre s'adresse à toute personne se plaignant d'un trouble de l'éjaculation précoce. La bibliothérapie peut être une ressource très utile en première ligne. "Il s'agit d'un traitement de l'éjaculation prématurée à la fois efficace, simple, facile d'accès, bon marché et dénué d'effets secondaires", résume le sexologue.
"Evidemment, la bibliothérapie ne fonctionne pas dans 100% des cas", reconnaît-il. Mais au moins elle donne des informations validées sur le trouble sexuel et des conseils pertinents pour améliorer son contrôle de l'éjaculation. En cas d'inefficacité, il est recommandé de consulter un sexologue ou un urologue pour envisager d'autres options, et notamment la nécessité ou non d'un médicament. Le thérapeute finit par un conseil : "éviter d'acheter soi-même des médicaments sur Internet, même si la tentation est forte et la réticence à consulter réelle"… Un conseil d'un bon sens indéniable tant la pertinence des informations trouvées sur Internet s'avère aléatoire !
L'avis de notre sexologue
"Si les hommes ne consultent pas, il vaut mieux lire ce livre plutôt que de ne rien faire, estime le Dr Desvaux, sexologue. Mais c'est léger de penser que cela suffira à soigner les cas graves ! Car traiter durablement les éjaculations prématurées est possible mais pas si simple".
Selon le médecin, ne pas prendre compte le temps est une erreur : il différencie les éjaculations qui surviennent le plus souvent en moins d'une minute - voire après quelques mouvements - de celles qui arrivent au bout de trois ou quatre minutes, une durée qui correspond au temps biologique, génétiquement programmé de l'espèce humaine… Dans ce dernier cas, il s'agit pour le sexologue de pratiques inadaptées, d'un défaut d'apprentissage, où l'homme se "surstimule" par rapport à l'excitation de sa partenaire. "Moyennant une éducation sexuelle, ils s'améliorent assez facilement sous réserve qu'ils aient envie d'apprendre et que la partenaire joue le jeu", évalue-t-il. Il est plus facile de les améliorer que ceux qui souffrent d'une éjaculation précoce vraie (quelques mouvements à trente secondes), pour laquelle le médecin persiste à croire à une vulnérabilité biologique.
Le Dr Desvaux reconnaît que les études à ce propos sont controversées mais que certaines montrent une altération des transporteurs de la sérotonine chez les éjaculateurs précoces. Les médicaments augmentant celle-ci ont alors un intérêt. "Attention, le médicament est un faux ami car un homme jeune en bonne santé ne va pas prendre un médicament toute sa vie, prévient-il. Mais il permet de passer un cap et cela ne dispense pas de faire le travail comportemental pour comprendre, mieux gérer ses propres sensations et arriver secondairement à gérer celles de sa partenaire…".
Lutter contre l'éjaculation précoce, guide pratique, de Philipe Kempeneers, Sabrina Bauwens et Robert Andrianne, aux éditions De Boeck au prix de 20 euros
La bibliothérapie en deux mots
Le livre se divise en deux types de conseils. Tout d'abord, les auteurs incitent les patients à relativiser l'importance de la pénétration, à se débarrasser des idées reçues à son propos (du type "un rapport réussi se résume au coït") et à élargir la gamme des pratiques sexuelles. La seconde phase consiste à apprendre des techniques modérant le décours de l’excitation afin d'arriver moins rapidement à l'éjaculation. La respiration abdominale et des pauses pratiquées durant le rapport, lorsque l'éjaculation est proche, en font partie ; l'apprentissage se fait intitialement lors de la masturbation (avec une technique axée sur les mouvements du bassin, et non du poignet, pour être plus proche des conditions réelles du rapport) puis avec l'aide de la partenaire.