Les rhumatismes permettent-ils de prévoir la météo ?
Les rhumatisants sont nombreux à l'affirmer : quand le temps tourne à l'orage, leurs articulations les font souffrir… Cette sensation a-t-elle une origine physiologique, psychologique, ou s'agit-il tout simplement d'un mythe ?
Croyance ou réalité scientifique ?
Plus de six personnes souffrant de rhumatismes sur dix en seraient convaincues(1) : leurs douleurs s'intensifient par temps froid ou humide. Cette certitude est très fortement ancrée dans de nombreuses cultures : ainsi, en Chine, les deux idéogrammes composant le mot rhumatisme (风湿, qui se prononce en mandarin Fēngshī) signifient "vent" (风) et "humide" (湿) ! Au Japon ou en Allemagne, il existe même des bulletins télévisés dits de "météo-santé", durant lesquels les malades sont mis en garde des douleurs qu'ils risquent de ressentir… tout du moins si l'on s'en réfère aux croyances populaires.
Longtemps(2), les médecins se sont contentés de recenser les plaintes de leurs patients, sans disposer de méthodes pour déterminer si cette souffrance était d'origine psychologique ou physiologique…
Difficile, en effet, de ne pas connaître le temps qu'il fait dehors ! Dès lors, comment savoir si les indices du mauvais temps et la croyance dans ses effets sur notre douleur ne sont pas les véritables causes de ces désagréables sensations ?
Premiers tests : prédire le temps qu'il va faire demain
Toutefois les douleurs, affirment certains, débutent souvent avant même que le ciel ne se couvre...
Dès le début des années 1950, puis de façon répétée dans les années 1980(3), des chercheurs ont donc tâché d'évaluer les performances de "baromètres humains", qui affirmaient que leurs sensations articulaires annonçaient d'un changement de température, d'humidité ou de pression.
Constatant que les prédictions des personnes testées n'étaient pas plus fiables que si celles-ci étaient basées sur un tirage à pile ou face, un vent de scepticisme commença à souffler quant à l'origine météorologique des douleurs ressenties…
Au jour le jour, certains patients météosensibles...
Mais tous les patients n'ont pas la prétention de pouvoir prédire le temps qu'il va faire. Et la plupart regrettent simplement que certaines de leurs douleurs deviennent plus vives quand le baromètre "monte" ou lorsque le thermomètre "baisse".
Entre le début des années 1990 et le milieu des années 2000, plusieurs études ont cherché à comparer les données recueillies par des stations météorologiques avec les mentions d'épisodes douloureux par des patients (recension dans des agendas).
Ces travaux ne permettent malheureusement pas d'écarter l'hypothèse "psychologique" évoquée plus haut. De l'avis de plusieurs chercheurs, ces conditions expérimentales la renforceraient même, puisque les patients savent qu'ils sont recrutés pour une étude sur le lien entre douleur articulaire et météorologie !
Ces nombreuses recherches ne sont toutefois pas dénuées d'enseignement.
Premièrement, ces résultats confirment que les conditions météorologiques des jours précédents (ou des jours suivants) ne constituent pas un facteur prédictif de la douleur (et vice versa).(4)
Par ailleurs, dans ces études, la proportion de patients dont les douleurs apparaissent corrélées – quelle qu'en soit la cause objective – à la météo est souvent faible (de l'ordre d'un cas sur quatre). La "météo-sensibilité" serait donc plutôt l'exception que la norme chez les personnes souffrant de rhumatismes.
Enfin, cette proportion de personnes apparemment sensibles varie selon le lieu où est réalisée l'étude(5). Si certains auteurs suggèrent qu'il s'agit là d'un indice du rôle du climat ambiant sur la douleur, d'autres s'interrogent sur l'existence d'un facteur culturel (vivacité de la croyance) ou, tout simplement, le produit d'une météo plus capricieuse… difficile, en effet, de comparer des douleurs rares recensées dans un climat désertique avec des douleurs fréquentes ressenties dans une ville où la girouette semble ne jamais savoir où donner de la tête !
Concernant la question de la réalité de la météo-sensibilité "au quotidien", toutefois, tous ces travaux laissaient la communauté scientifique quelque peu sur sa faim.
Expériences en chambre
En 1961, le médecin nord-américain Joseph Lee Hollander proposa un protocole à la fois simple et ingénieux pour résoudre l'énigme : faire entrer des patients une chambre close dont il pouvait contrôler la température et la pression. A en croire les comptes rendus des expériences réalisées par Hollander, les résultats démontraient clairement l'existence de la météo-sensibilité (baisse de pression et augmentation de l'humidité entraînant une augmentation des sensations douloureuses). Mais, comme le firent remarquer plusieurs critiques(6), ces essais ne furent réalisés que sur douze patients, sur des laps de temps très courts, durant lesquels les variations infligées semblent suffisamment brutales pour être détectables par ses sujets(7)…
Des effets très discrets... et une explication simple ?
En 2007, des chercheurs de Boston ont eu l'idée d'analyser les données d'un essai clinique sur les effets d'un médicament contre les douleurs de l'arthrose, en se concentrant sur la population qui avait reçu des comprimés "témoins" (placebo). Les participants étaient répartis dans tous les Etats-Unis, et l'essai avait été réalisé sur de nombreux mois.
A l'aide d'informations transmises par les stations météorologiques locales, les chercheurs ont conclu que l'intensité de la douleur liée à l'arthrose du genou pourrait "être influencée de façon modeste par le temps", en l'occurrence par des baisses de température et des hausses de pression(8). Mais les effets mesurés sont incroyablement faibles : il faut que la température diminue de 5,5°C pour faire diminuer le "score de douleur" (noté sur 20 par les patients) de… 0,1 point !
Or, comme l'on fait observer d'autres auteurs, l'origine de ces variations de la douleur ressentie pourrait être simplement dues au fait que lorsque le temps est moins clément, les patients sortent moins. Pour peu qu'ils restent dans une même position plus longtemps qu'à l'accoutumée, ils seront plus enclins à ressentir des douleurs articulaires !
Météosensibilité au cas par cas
Les études démontrent donc qu'une majorité de personnes souffrant de rhumatismes n'a rien à redouter des caprices du temps. Mais qu'en est-il de la minorité qui, au sein des cohortes étudiées, serait éventuellement réellement sensible au temps(9) ?
A l'issue d'une méta-analyse publiée en 2012, des auteurs norvégiens notent que les membres de cette minorité apparaissent "réagir de façon différente à des conditions climatiques similaires". Une étude au cas par cas de ces patients permettrait d'identifier les mécanismes en jeu...
Microclimat sous le pull-over
Quelques années auparavant, les chercheurs Wiebe Patberg et Johannes Rasker ont réalisé une revue de détail de dizaines de travaux de recherches sur la polyarthrite rhumatoïde publiées durant les deux précédentes décennies, tâchant de mettre en lumière quelques constantes.
Leur analyse des conditions dans lesquelles ont été menées chaque expérience les a mené à cette conclusion : un lien pourrait éventuellement exister entre les douleurs ressenties par les patients et l'humidité… à la surface de leur peau ! Les variations climatiques extérieures n'auraient alors que peu d'effet dès lors que le patient porte sur lui quelques couches de vêtements.
A l'origine de la croyance populaire
Il existe un contraste saisissant entre la croyance solidement établie, dans toutes les cultures, d'un lien entre arthrose et météorologie, et la rareté des indices accumulés dans la littérature scientifique. Dans un article publié en 1996, les chercheurs Donald Redelmeier et Amos Tversky expliquent qu'au delà du caractère "traditionnel" de cette association, mais aussi de sa plausibilité, plusieurs facteurs psychologiques participent de sa popularité.
Premièrement, la sélectivité de notre mémoire : "le désir d'avoir une explication" quant à l'aggravation d'une douleur "encourage les patients à rechercher des preuves qui confirment leurs croyances [antérieures], et à négliger les indices contraires". Il est en outre aisé de trouver un événement météo qui va dans le sens de la croyance plusieurs heures ou plusieurs jours avant ou après l'épisode douloureux, pour valider l'intuition… Enfin, les auteurs notent que lorsque l'on ne souffre pas, on ne cherche pas spontanément une cause à cet état – quand bien même le temps serait mauvais !
Notes et références
(1) La proportion de patients affirmant avoir fait l'expérience de cette corrélation est précisée dans plusieurs des études réalisées autour de cette question depuis le début des années 1980 dans les pays anglo-saxons. Celle-ci est toujours très largement supérieure à 50%. Dans une étude de 1987 plus de 3 personnes sur 10 considéraient la météorologie comme "cause principale" du retour des douleurs articulaires.
Voir également : Weather and arthritis symptoms. J.T. Sibley. J Rheumatol. 1985 Aug;12(4):707-10. et Weather changes and pain: perceived influence of local climate on pain complaint in chronic pain patients. R.N. Jamison et coll. doi:10.1016/0304-3959(94)00215-Z
(2) Une des plus anciennes études de cas sur la question date de 1877 : The relations of pain to weather, being a study of the natural history of a case of traumatic neuralgia. S.W. Mitchell - The American Journal of the Medical Sciences, 1877
(3) Voir : Weather forecasting in rheumatic disease G Nyberg, A Nybeg - Archives for meteorology, geophysics, 1984. De petites études ont suggéré que certains patients seraient plus doués que d'autres pour cet exercice. Toutefois leurs performances ne dépassaient pas, durant la période de suivi, les résultats qui auraient été obtenus "par hasard".
(4) L'une de ces études (également basée sur des questionnaires) a toutefois suggéré que si des variables météorologiques influençaient la douleur, celles-ci différeraient selon la nature de la pathologie. Bien que ces observations n'aient, pour l'heure, pas été reproduites (et donc confirmées), certains auteurs y ont vu l'indice d'une réalité objective du phénomène. L'analyse de données recueillies auprès de 151 patients laisse entendre que, chez les participants atteints de polyarthrite rhumatoïde, les sensations de douleurs étaient corrélées "à une température basse, une pression atmosphérique élevée et un taux d'humidité important". Chez les patients souffrant d'arthrose, les variations de pression atmosphérique n'étaient pas "détectées", tandis que les patients traités pour fibromyalgie n'étaient objectivement pas affectés par l'humidité. Ces observations n'ont pas été corroborées par ailleurs. Concernant la fibromyalgie, notamment, d'autres travaux jugent peu vraisemblable l'existence d'un lien entre météo et douleurs.
(5) En revanche, comme le soulignent les chercheurs Donald Redelmeier et Amos Tversky dans un article publié dans les PNAS en 1996, la croyance des personnes souffrant d'arthrose dans la météo-sensibilité est relativement similaire, aux Etats-Unis, que celles-ci résident dans des zones où le climat est très variable ou très constant. Ceci accroit selon "le doute quant à une explication purement physiologique" du ressenti.
(6) Voir notamment Changes in barometric pressure and ambient temperature influence osteoarthritis pain. T McAlindon, M Formica et coll. The American journal of Medicine, 2007 doi:10.1016/j.amjmed.2006.07.036 De plus, Hollander ne cachait pas sa profonde conviction de l'existence d'un lien entre météorologie et douleurs articulaires, ce fait rendant d'autant plus nécessaire une validation externe de ses résultats.
(7) A défaut d'avoir démontré la réalité de la météo-sensibilité chez les patients arthritiques, ce protocole a inspiré des chercheurs japonais pour l'étude de malades souffrant d'une accumulation de gaz dans les disques intervertébraux. Leurs travaux suggèrent qu'une forte variation de pression peut contribuer, dans quelques cas, à l'augmentation des symptômes douloureux pour cette pathologie. Des expériences sur les douleurs neuropathiques ont également été récemment réalisées chez l'animal en s'inspirant de Hollander.
(8) A noter que les variations de pression en lien avec les phénomènes météorologiques sont très faibles comparées à celles qui surviennent lors d'un changement d'altitude. Ainsi, une diminution de 1 à 2 hPa par heure sur un baromètre fixe est caractéristique de la survenue d'un orage ; mais cette variation peut également être obtenue en s'élevant… de moins d'une vingtaine de mètres. Si les différences de pression était à l'origine de douleurs articulaires (ou en tout cas, une cause favorisante), elles surviendraient en prenant l'ascenseur ou à bord d'un véhicule cheminant dans un terrain vallonné.
(9) Selon une étude publiée en 2009, portant sur des patients majoritairement convaincu de la réalité de la météosensibilité, la contribution éventuelle de la météorologie aux sensations douloureuses des malades apparait, "au maximum, de 17,1%". Les auteurs ne concluent pas en faveur (ni en défaveur) de la réalité du phénomène.