SNCF : de l’amiante retrouvée dans des wagons de fret
Interdit en 1997, ce minéral cancérigène a pourtant été découvert fortuitement par des cheminots au cours de cette année. Sud Rail dénonce "un scandale sanitaire".
Les employés pensés en être débarrassés depuis 22 ans, l’amiante étaient pourtant toujours présente en 2019. Le syndicat Sud Rail a déposé un droit d’alerte pour danger grave et imminent dans l’atelier de maintenance des wagons d’Ambérieu-en-Bugey, dans l'Ain. Les cheminots ont repéré des glissoirs, pièces de friction assurant la stabilité du wagon à bogies, emplis de ce produit cancérigène.
"Une crise sanitaire et sociale"
"Alors que l'entreprise publique SNCF affirmait s'être débarrassée de l'amiante sur les wagons, ce sont des centaines de cheminotes et cheminots – travaillant dans une dizaine d'ateliers maintenance fret – qui font face à une crise sanitaire et sociale", affirme l'organisation syndicale dans un communiqué.
L’affaire ne date pas d’hier. Un premier signalement a même été fait il y a six mois. Si les cheminots d’Ambérieu ont été vigilants, c’est que des pièces amiantées ont été retrouvées dans d’autres ateliers wagons en France. Dans le Gard en juillet 2018, puis en septembre et en octobre de la même année, révèle le magazine Santé et Travail.
Selon la revue, c'est en janvier que le comité social et économique (CSE) TER de la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont dépend le site de maintenance d’Ambérieu, a déposé un premier droit d'alerte pour danger grave et imminent. Elle s’est appuyée sur le rapport de deux inspecteurs du travail selon lequel la direction de la SNCF n'a pas suffisamment pris en compte le risque d'exposition des agents du fret à l'amiante.
"Des failles importantes"
Un cabinet saisi par le CSE, Ergommia, estime pour sa part que "la manière dont l'entreprise a géré cette problématique comporte des failles importantes". L'entreprise s'est reposée sur les attestations de non-présence d'amiante, délivrées par des fournisseurs de pièces de wagon, reçues entre 1980 et 1985. Mais elle n'a jamais vérifié elle-même que ces pièces ne contenaient pas d'amiante, affirme Ergonomnia.
Une délégation Sud Rail a été reçue jeudi par la direction de la SNCF, a indiqué Julien Troccaz, un de ses représentants. "L'employeur ne nie pas la crise", a-t-il affirmé.
La direction a quant à elle souligné que "la sécurité, et donc la sécurité au travail, est la priorité numéro 1 de la SNCF qui n'a jamais négligé ou sous-estimé le risque amiante (...) Lorsqu'un doute existe néanmoins sur la présence d'amiante, des mesures conservatoires sont prises pour assurer la protection des salariés".
Un minéral cancérigène
Une fois inhalées, les fibres d’amiante peuvent aller très loin dans l’organisme. "Elles se présentent sous forme de bâtonnets", explique le Dr Philippe Girard, pneumologue à l’institut mutualiste Montsouris. "Une fois que l’amiante est dans les poumons, elle y reste. Juste à cause de cette forme. Elle ne peut être rejetée par la ventilation."
Ce minéral peut notamment être à la source de plusieurs affections :
- Une inflammation de la plèvre, l’enveloppe du poumon. "Des plaques pleurales se forment. C’est à dire que la plèvre s’épaissie par endroit", détaille le Dr Philippe Girard. "Ce n’est pas très grave mais ces plaques sont un témoin fidèle d’une exposition à l’amiante."
- Une fibrose pulmonaire. Cette inflammation du poumon peut mener à une insuffisance respiratoire. "Le poumon devient de plus en plus rigide et a de plus en plus de mal à expirer et inspirer."
- Un cancer du poumon. "Un travailleur de l’amiante a 4 ou 5 fois plus de risque qu’un autre de développer un cancer du poumon." Risque d'autant plus élévé s'il est fumeur.
- Un cancer de la plèvre. "Dans ce cas, les pronostics sont très mauvais", précise le pneumologue. "Moins de 5% des patients sont encore en vie 5 ans après le diagnostic." Dans plus de la moitié des cas, les patients ont été exposés à de l’amiante "et dans les autres cas, les médecins se disent juste qu’ils n’ont pas trouvé la source de l’exposition. Ce cancer est vraiment très spécifique à l’amiante."
Ces maladies et des symptômes peuvent se déclarer 30 ans après la fin de l’exposition. Le Dr Girard insiste cependant sur un point : l’amiante représente un sur-risque, comme le tabac. "Cela ne signifie pas que toutes les personnes exposées auront des cancers !"
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Une exposition longue
Ce risque est par ailleurs proportionnel à la quantité d’amiante absorbée. "De fait, une exposition longue à de faibles doses peut être aussi grave qu’inhaler une grande quantité d’un coup", ajoute le médecin.
C’est justement ce facteur "temps" qui inquiète les cheminots. "On a des collègues qui apprennent qu'ils travaillent depuis des années sans précaution, et aujourd'hui il n'y a toujours pas de mesures concrètes de la direction", déplore Julien Troccaz de Sud Rail.
Les inspecteurs du travail attendent depuis 2019 le recensement des personnels étant ou ayant été exposés au risque amiante sur le site d’Ambérieu, assure M.Troccaz. Selon Santé et Travail, la SNCF n'a pas non plus dressé d'inventaire rigoureux des wagons suspects. L’entreprise gère 30 500 wagons à bogies.