CHU Toulouse : une fuite massive de documents confidentiels alerte sur les conditions de travail
Mauvaises conditions de travail, matériel défectueux, pannes de courant lors d'interventions chirurgicales... plus de 25 000 "fiches d’incident" ont été révélées par le média Mediacités.
Les "CHU Leaks" sont-ils la goutte d’eau qui va faire déborder le vase ? Après les enquêtes sur l’épuisement des internes, le succès du hashtag #BalanceTonHosto ou les révélations sur la prise en charge de certains patients, une fuite interne au CHU de Toulouse ravive le débat sur les manques de moyens de l’hôpital public. Le site web d’investigation Mediacités a en effet publié le 2 avril des témoignages d’incidents graves ayant eu lieu dans l’établissement, tenus secrets par la direction – les fameuses "fiches d’incident".
26 173 documents classés secrets
Ces formulaires, censés permettre à la direction de trouver une solution aux problèmes signalés, sont rédigés de manière informatique et centralisés par l’administration. Comme l’indique Mediacités, ces fiches d’incident ont été rendues temporairement publiques à cause d’un bug informatique. Résultat : ses journalistes ont récupéré 26 173 documents classés secrets. Ces formulaires concernent la période allant de septembre 2013 à mars 2017. Mais pour Pauline Salingue, éducatrice spécialisée au service de pédopsychiatrie du CHU de Toulouse et membre de la CGT, ces fiches ne sont que la partie émergée de l’iceberg : "9 agents sur 10 ne remplissent pas de fiches par manque de temps, et la plupart de ces fiches n’ont jamais de réponse !"
"On nous parle de sous-effectifs au quotidien", affirme Pauline Salingue. Ce que confirment les fuites, qui font état d’un manque criant de personnel. "Une journée de plus où nous rentrons chez nous avec le sentiment d’avoir bâclé notre travail et mis en danger des patientes", raconte en octobre 2016 une soignante de l’hôpital Paule de Viguier. Une autre fiche témoigne par ailleurs d’un incident particulièrement choquant survenu le 5 août 2016 à Rangueil. Alors qu’on suspecte une hémorragie cérébrale chez une patiente et que celle-ci a besoin d’un scanner en urgence, elle attend 9 heures avant d’être brancardée. "La patiente est décédée le 8 août dans la soirée", indique la note.
Les internes de médecine victimes d'épuisement professionnel. Sujet diffusé le 27 mars 2018.
"Il faut qu’il y ait un accident pour que la direction réagisse !"
"Il y a des problèmes de matériel médical non renouvelé, ou tout simplement de manque de matériel", poursuit Pauline Salingue. Là encore, les témoignages concordent : "Lors de l’intervention chirurgicale, la pièce à main du moteur […] a craché un liquide noir dans la bouche du patient […] et a brûlé la lèvre et la joue gauche", indique un médecin en juillet 2016. Autre problème majeur soulevé par les soignants : les conditions d’accueil déplorables des malades. "Les patients sont allongés dans ce hall, sans même une couverture", explique un agent de service. "Un rideau cache-misère a été installé. Avec la force du vent qui s’engouffre dans le hall, il se soulève, allant même jusqu’à recouvrir le premier patient installé."
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Deux points sur lesquels la direction tient à rassurer : selon elle, un audit aurait eu lieu après l’épisode du liquide noir, et le matériel défectueux aurait été remplacé. En ce qui concerne la température des établissements – qui ne dépasse pas 15 degrés en hiver selon le personnel – des travaux de "réfection du chauffage et de la climatisation" auraient été engagés. Une réaction absurde pour Pauline Salingue : "Le problème, c’est l’accumulation de dysfonctionnements. Il faut qu’il y ait un accident pour que la direction réagisse !"
150 postes supprimés entre 2014 et 2016
Mais ce n’est pas tout. Les fiches d’incidents révèlent que les pannes sont récurrentes, parfois en pleine opération. Comme le relate un cardiologue de Rangueil le 13 juin 2016 : "Une coupure d’électricité a eu lieu au bloc. Arrêt des appareils alors que des procédures étaient en cours. 7 à 8 minutes pour rallumer les machines, risque vital réel pour les patients." Là encore, la direction s’est défendue en évoquant "une micro-coupure du réseau EDF". Elle a par ailleurs rappelé que l’établissement avait mis en place un programme d’investissement technique pour prévenir ce type de défaillances.
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Mais ces solutions, temporaires, n’améliorent en rien l’état psychologique des soignants. Au CHU de Toulouse, plusieurs d’entre eux se sont donné la mort à l’été 2016. Un épisode qui s'est répété le 8 janvier dernier, quand une aide-soignante de Pierre-Paul Riquet s’est suicidée sur son lieu de travail. "Toulouse est une ville qui grandit chaque année", explique Pauline Salingue. "On agrandit les services, mais on supprime du personnel. Entre 2014 et 2016, on a supprimé 150 postes. Pas un jour ne se passe sans qu’un service ne soit en grève." Aujourd’hui pourtant, le CHU de Toulouse reste à la deuxième place du classement des meilleurs hôpitaux de France du magazine Le Point.