La surconsommation d'antibiotiques menace la santé mondiale
Une nouvelle étude tire la sonnette d’alarme sur la trop grande consommation d’antibiotiques, en particulier dans les pays émergents, et la résistance bactérienne qui en découle.
Les chiffres donnent le tournis : la consommation mondiale d'antibiotiques a augmenté de 65% entre 2000 et 2015, dopée par une utilisation qui explose dans les pays à revenu intermédiaire et faible. Pour les chercheurs, cette augmentation représente une menace pour la santé mondiale. Ils rappellent en effet que " la résistance aux antibiotiques, entraînée par la consommation d'antibiotiques, est une menace croissante pour la santé mondiale".
Publiée lundi 26 mars 2018 dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), cette étude, fondée en partie sur des projections explique que "la consommation globale totale d'antibiotiques en 2015 était estimée à 42,3 milliards de doses quotidiennes déterminées". Dans les 76 pays étudiés, l'absorption d'antibiotiques est passée de 21,1 milliards de doses quotidiennes déterminées en 2000 à 34,8 milliards en 2015. Corrélé à l'augmentation de leur Produit intérieur brut (PIB), le niveau de consommation d'antibiotiques a particulièrement augmenté dans les pays à revenu intermédiaire ou faible (LMIC): +114% en 16 ans, pour atteindre 24,5 milliards de doses quotidiennes déterminées.
Premières victimes : les pays à revenu intermédiaire ou faible
Certains pays LMIC ont dépassé le taux de consommation d'antibiotiques de pays à haut revenu. En 2015, la Turquie, la Tunisie, l'Algérie et la Roumanie faisaient ainsi partie des six pays aux taux de consommation d'antibiotiques le plus élevé, alors qu'en 2000, les cinq premiers appartenaient tous à la catégorie des pays à haut revenu. La consommation est plus faible pour les pays à haut revenu (HIC), avec 10.3 milliards de doses quotidiennes. Et entre 2000 et 2015, la hausse n'a été que de 6%. La hausse n'a été que marginale dans les trois pays leaders de la consommation dans les nations à haut revenu, les Etats-Unis, la France et l'Italie, explique l'étude.
Pour Eili Klein, chercheur au Center for Disease Dynamics, Economics & Policy et l'un des auteurs de l'étude, cette augmentation signifie "un meilleur accès à des médicaments nécessaires dans des pays avec beaucoup de maladies qui peuvent être traitées efficacement avec des antibiotiques". Mais ce point positif est vite obscurci par le chercheur. Car il existe un revers à la médaille. "Alors que de plus en plus de pays obtiennent l'accès à ces médicaments, ces taux (de consommation) augmenteront (...) ce qui conduira à des taux plus élevés de résistance" aux antibiotiques.
La résistance aux antibiotiques, comment ça marche ?
Les antibiotiques s’attaquent aux bactéries de différentes façons pour provoquer leur destruction. Ils peuvent soit détruire leurs membranes, soit, par exemple, inhiber leur synthèse d’ADN. L’efficacité des antibiotiques a motivé leur usage important et répété dans la santé humaine et animale, à l'échelle mondiale. Problème : un mauvais usage des antibiotiques (des traitements injustifiés, trop longs, ou encore trop courts) créé une sélection (et une multiplication) des populations bactériennes équipées d’un "système de défense" contre la molécule. Ces bactéries sont dites résistantes : elles ne sont plus tuées par le médicament.
Ponctuel au départ, le phénomène de résistance est devenu massif et inquiétant. Des bactéries sont maintenant multirésistantes (elles résistent à plusieurs antibiotiques) et certaines sont même toto-résistantes, c’est-à-dire résistantes à quasiment tous les antibiotiques à la disposition des médecins. Des antibiothérapies "banales", en médecine de ville sont désormais concernées.
La résistance acquise aux antibiotiques peut résulter de plusieurs mécanismes :
- Une mutation génétique sur un chromosome de la bactérie elle-même, qui entraîne une modification du« point-cible » de l'antibiotique : il ne peut plus se lier à la bactérie pour la détruire. Quand la bactérie se réplique, elle transmet le gène de résistance à ses clones.
- Un transfert de matériel génétique : quand une bactérie résistante entre en contact avec une bactérie qui ne l’est pas, même si elle est d’une autre espèce, elle peut lui transmettre son gène de résistance.
Dans les deux cas, si l’antibiotique est utilisé massivement, il joue son rôle de « sélecteur » : les bactéries résistantes se multiplient et les bactéries sensible sont éliminées.
Des ciseaux moléculaires pour combattre l'antibiorésistance. Reportage diffusé le 08/02/2018
Dix millions de décès par an d'ici à 2050 dus à la résistance bactérienne
La résistance des bactéries est responsable de 700.000 morts par an dans le monde selon un groupe d'experts internationaux formé en 2014 au Royaume-Uni. Et l'avenir est sombre, si rien n'est fait : "Les projections de la consommation globale d'antibiotiques en 2030, présumant aucun changement de politique, sont jusqu'à 200% supérieures aux 42 milliards de doses quotidiennes déterminées en 2015".
La résistance aux antibiotiques pourrait causer dix millions de décès par an d'ici à 2050, rapportait une récente étude britannique.