Loi bioéthique : les députés ont voté contre l’interdiction des mutilations des personnes intersexes
Lors du vote de la loi de bioéthique, 72 députés sur 86 se sont prononcés contre l’amendement pour l’interdiction des mutilations génitales des personnes intersexes. Cette décision a déclenché de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Témoignage.
Intersexe, ce terme est peu connu. Pourtant, selon le Collectif Intersexes et Allié.e.s (CIA), il concerne au moins 1,7% de la population mondiale. On parle d’intersexuation lorsque le sexe biologique n’est ni typiquement masculin ni typiquement féminin.
Les personnes intersexes ont des chromosomes, des organes génitaux, des hormones et/ou des gonades qui ne correspondent pas aux définitions classiques du sexe féminin ou masculin. On considère généralement qu’il ne s’agit ni d’une orientation sexuelle, ni d’une identité de genre, mais bien d’une caractéristique génétique, hormonale ou physique.
A lire aussi : Mutilation des personnes intersexes : le Sénat préconise une indemnisation
Des mutilations dès l’enfance
Benjamin Moron-Puech est docteur en droit et il travaille sur la question intersexe depuis 10 ans. L’enseignant-chercheur affirme que les opérations d’assignation de sexe relèvent de « traitements inhumains et dégradants », voire de « tortures ». Selon lui, près de 4700 opérations de confirmation sexuée ont été réalisées en 2017 sur des enfants de moins de 13 ans, dont 87,4% sur des enfants de moins de 4 ans. L’Organisation des Nations Unies a déjà condamné la France à trois reprises.
Le processus d’assignation à un sexe peut aller du traitement hormonal à de très lourdes opérations des organes génitaux. « Il n’est pas rare de voir un enfant endurer trois à cinq de ces procédures », déplore le CIA. Endurer ce traitement crée bien souvent des traumatismes importants chez les personnes intersexes.
A lire aussi : Intersexualité : une personne dépose plainte pour mutilation
« Le fait d’être intersexe ne me posait aucun problème de santé »
Le vote des députés a beaucoup choqué Sascha F. Il est né il y a 23 ans avec des organes génitaux externes intersexués, un utérus et des gonades qui ne se sont pas développées. « Mes gonades ne produisaient pas d’hormones sexuelles. Cela signifie que je suis stérile et que je n’ai pas de puberté naturellement », explique-t-il. « Mon absence de puberté ne m’a pas causé de déficience hormonale, puisque tant que le corps n’est pas pubère ce phénomène ne se produit pas. »
« A douze ans, mon absence de puberté posait problème aux médecins et c'est comme ça qu’ils ont décidé mon assignation médicale. Ils m’ont imposé une puberté féminine et des séjours en hôpital psychiatrique », se souvient-il.
Durant ses quatre séjours, il est mis sous neuroleptiques et sous hormones. « On m’a imposé de dilater mon vagin, plus petit que la moyenne, pour obtenir une taille standard », raconte Sascha.« On a tenté de me pénétrer avec des dilatateurs de force, mais je me débattais. »
A lire aussi : Un tribunal autorise la mention "sexe neutre" sur l'état civil d'une personne intersexuée
De lourdes séquelles
Quelques années plus tard, il souhaite faire reconnaître par l’Etat civil qu’il est un homme. La réponse est oui mais à une condition : l'ablation des gonades. « Honnêtement, je n’ai aucun attachement à ces gonades. Ne plus les avoir ne me dérange pas, mais le fait d’y être contraint me dérange beaucoup plus », déclare Sascha. Plusieurs infections et une hémorragie suivent cette opération.
Cette chirurgie « complètement ratée » selon lui, entraîne aussi des troubles urinaires et des douleurs chroniques, qui le suivront jusqu’à la fin de sa vie. « Ça n’a fait qu’abîmer mon corps un peu plus, et je le vis mal », affirme-t-il.
Sascha souffre aujourd'hui d'un syndrome de stress post-traumatique. Selon Benjamin Moron-Puech, « la bataille n’est pas perdue », mais il admet que l’évolution de la loi risque de prendre plusieurs années. Il espère faire changer les pratiques du côté de la législation européenne.