Etudes de médecine : 30% des étudiants ont déjà subi des violences sexuelles
Selon une enquête menée par deux doctorantes en médecine, près d’un tiers des externes a déjà subi des violences sexuelles. Ce chiffre grimpe à 45% en fin de second cycle, et à plus de 60% chez les femmes.
Attouchements, viols, remarques sexistes, regards insistants… Deux étudiantes en médecine, Line Zou Al Guyna et Malyza Mohamed Ali ont souhaité quantifier les violences sexuelles réputées nombreuses à l’hôpital. La thèse de la docteure Zou Al Guyna, intitulée Violences sexuelles au cours des études de médecine : Enquête de prévalence chez les externes d’Île-de-France et soutenue en octobre 2018 révèle des chiffres préoccupants.
La docteure Zou Al Guyna a conduit son étude entre le 31 janvier et le 31 mai 2018 auprès des externes en médecine inscrits dans sept facultés d’Île-de-France. Un total de 7.368 étudiants et étudiantes a donc reçu un questionnaire à remplir en ligne, comportant 27 questions et quatre dessins représentants des situations de harcèlement, d’agression mais aussi de séduction, tous inspirés de faits réels. 2.208 personnes y ont répondu de façon complète.
Qu’entend-elle par violences sexuelles ? Ce terme regroupe le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle. Le premier inclut des remarques, des moqueries ou des blagues sexistes, des sifflements, des regards insistants, des propositions sexuelles non voulues et rejetées ou encore du chantage sexuel. L’agression sexuelle, quant à elle, relève d’un acte à caractère sexuel : des contacts physiques ou des attouchements imposés, des viols et des tentatives de viol.
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61,9% des femmes en second cycle concernées par des violences sexuelles
Parmi les répondants, 30% des externes hommes et femmes ont déclaré avoir vécu au moins une situation de violence sexuelle. Plus précisément, 25,2% ont déclaré avoir vécu au moins une situation de harcèlement sexuel et 11,6% une situation d’agression sexuelle.
Mais la population qui semble la plus touchée est celle des étudiants et étudiantes en fin de second cycle, c’est-à-dire en cinquième et sixième années. Ainsi, 45,1% de ces externes ont vécu au moins une situation de violence sexuelle et particulièrement les femmes, qui sont 61,9% à avoir déjà vécu ce type de situations.
Les hommes ne sont pas pour autant à l’abri des violences sexuelles puisque 11% des répondants ont déclaré avoir déjà vécu une telle situation.
Un chiffre d’autant plus inquiétant que "les situations de violences sexuelles rapportées par les participant·e·s n’étaient pas des épisodes isolés", rapporte la docteure Zou Al Guyna dans sa thèse.
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Le caractère illégal des violences mal perçu
Autre résultat issu de ces travaux : les étudiants et étudiantes n’identifient pas le degré de gravité des violences sexuelles. Ainsi, seulement 21,1% des participants ont reconnu les situations de violences comme étant répréhensibles et illégales, tout en reconnaissant la situation de drague comme n’étant pas illégale. Autrement, près de 80% des externes n’ont pas conscience du caractère illégal des actes de violences sexuelles.
De même, les répondants ont été questionnés sur le caractère humoristique des situations. Des comportements de harcèlement tels que des blagues sexistes ont été jugés "drôle" par 13,3% des participants. La drague a été jugée humoristique par 40% des externes et des actes d’attouchements n’ont pas été jugés "drôle"par 97,5% des répondants.
Selon les autrices de ces travaux, "le rôle de l'humour et les difficultés que semblent avoir les étudiants à reconnaître le caractère répréhensible de l'ensemble des situations présentées" semblent résonner avec la forte prévalence "d’une forme de harcèlement du quotidien particulièrement fréquente, répétée et banalisée", entretenue et fréquemment justifiée par l’esprit dit "carabin" des études de médecine.
"Lourdes conséquences psychiques"
A l’issue de cette thèse, la docteure Zou Al Guyna s’inquiète des "lourdes conséquences psychiques et somatiques" chez les victimes de violences sexuelles, telles qu’une anxiété, une dépression parfois sévère avec des idées suicidaires, un manque de confiance ou encore des comportements addictifs. Des répercussions potentielles sur les études et sur les choix de carrières sont également à craindre, selon la médecin.
A l’heure actuelle, le questionnaire a révélé que 92,9% des participants à l’enquête n’avaient jamais reçu de formation sur les violences sexuelles. Un chiffre sur lequel il sera important de progresser, insiste la docteure, qui espère que "[leur] travail contribuera à susciter la mobilisation de l’ensemble des personnes concernées pour que les futures générations de soignant·e·s puissent apprendre leur métier dans des conditions qui les protègent des violences sexuelles."