Ces bactéries qui résistent aux antibiotiques
Le point sur un phénomène qui s'aggrave : la résistance aux antibiotiques. Les superbactéries (ou "superbugs" en anglais) seront-elles le prochain pire ennemi de l'humanité ? Explications avec David Zavaglia, docteur en biologie cellulaire et moléculaire. Chronique du17 juin 2013, dans "Le magazine de la santé".
Un article du 28 mai 2013 publié dans The Lancet Infectious Diseases, par des chercheurs de l'Institut Pasteur, montre que non seulement ce phénomène s'aggrave, mais que la résistance aux antibiotiques se propage aussi de plus en plus vite. Plus aucune région du monde n'est épargnée. Un phénomène inquiétant.
Les antibiotiques sont utilisés depuis les années 1940 et aujourd'hui ils sont partout, non seulement pour traiter les infections bactériennes chez l'homme, mais aussi chez l'animal où ils sont massivement utilisés pour protéger les animaux et les faire grossir plus vite.
Comment apparaissent les bactéries résistantes ?
Il s'agit d'un phénomène appelé "pression de sélection". Les bactéries se multiplient à une vitesse incroyable, en quelques heures on en obtient des millions. Certaines d'entres elles subissent des mutations dans leur ADN qui les rendent résistantes à tel ou tel antibiotique. En temps normal, elles restent minoritaires, et si on traite avec un antibiotique, on tue toutes les bactéries sensibles, mais on laisse le champ libre aux bactéries résistantes qui vont alors se multiplier. Donc il s'agit d'une équation simple et imparable : plus on utilise les antibiotiques plus on favorise l'émergence de bactéries résistantes !
Autre phénomène crucial : les bactéries possèdent des petits bouts d'ADN, appelés plasmides, qui peuvent se transférer d'une bactérie à l'autre. Sur ces plasmides, il peut y avoir des gènes qui donnent une capacité de résistance. Donc si une bactérie résistante à un antibiotique A croise une souche résistance à un antibiotique B, il arrive parfois qu'elle récupère cette nouvelle faculté et devienne alors une bactérie dite super-résistante.
Qu'ont découvert les chercheurs de l'Institut Pasteur ?
Ils se sont intéressés à une souche de bactérie particulière, Salmonella enterica serotype Kentucky, responsable d'infections appelées salmonelloses, survenant le plus souvent via l'alimentation. Et de 2000 à fin 2011, ils ont récupéré des échantillons en France et au Maghreb.
Normalement cette bactérie est sensible à un antibiotique, la ciprofloxacine. Mais en 2002, les chercheurs ont identifié le premier patient français avec une Salmonella enterica résistante à cet antibiotique. Ensuite la situation s'est vite aggravée.
De 2000 à 2008, environ 40% des échantillons étaient résistants à la ciprofloxacine, mais de 2009 à 2011, déjà 83% des échantillons en France étaient résistants ! Le pire est qu'ils détectent de plus en plus souvent d'autres résistances associées. Ils ont ainsi trouvé des Salmonella enterica ayant récupéré des gènes pour être capables de détruire tous les antibiotiques de la famille des beta-lactame (dérivés de pénicilline), et qui résistent même au carbapenèmes, des antibiotiques de dernière génération que l'on utilise seulement en dernier recours. C'est donc une nouvelle menace à prendre très au sérieux.
Que dire de la Salmonella enterica, un cas particulier ou de plus en plus fréquent ?
Malheureusement, c'est un cas assez typique. En remontant l'histoire des patients, les chercheurs ont découvert que très probablement la résistance initiale s'est développée dans des élevages de poulets en Afrique où ils utilisent des antibiotiques de façon déraisonnée. Elle est ensuite passée chez l'humain, puis s'est vite propagée jusqu'au bassin méditerranéen et même au continent asiatique. A vrai dire, il y a tellement de moyens de voyager pour une bactérie, on a même retrouvé en Europe et au Etats-Unis des épices venant du Maghreb contaminées par cette souche.
En fait, le plus grave changement est que ces résistances touchent désormais des bactéries communes. Dans le passé, il s'agissait surtout d'un problème dans les hôpitaux, notamment avec le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) qui entraîne encore des infections parfois mortelles.
Mais maintenant, même celles appelées entérobactéries sont concernées. On les trouve fréquemment dans le tube digestif humain et dans beaucoup d'aliments, la plus célèbre étant Escherichia coli. En 2010, en Inde, on avait assisté à l'émergence de certaines d'entre elles, les NDM1 qui résistaient à presque tous les antibiotiques. Et plus récemment un article du Lancet indique qu'en Chine, 75% des Escherichia coli dans les élevages de poulets étaient résistantes à la plupart des antibiotiques essentiels contre les infections humaines. Donc on court vraiment à la catastrophe si on n'agit pas vite.
Ne suffirait-il pas de développer de nouveaux antibiotiques ?
La recherche est malheureusement en grande difficulté dans ce domaine. Non seulement il devient de plus en plus difficile de trouver de nouvelles molécules pouvant tuer les bactéries, mais de plus cela intéresse peu l'industrie pharmaceutique. Car on donne les antibiotiques pendant seulement quelques jours, ce qui n'est pas très rentable. Les industriels préfèrent investir dans des antidiabétiques ou des anti-cancéreux, bien plus lucratifs.
Dans un article de ClinID (graphique ATB) un graphique sur l'évolution du nombre de nouveaux antibiotiques mis sur le marché, c'est assez inquiétant. Cela ne fait que diminuer, depuis 2009 seuls deux nouveaux antibiotiques ont ainsi été approuvés. Heureusement certains pays réagissent et la semaine dernière, le gouvernement US a signé un contrat avec GSK pour les aider jusqu’à hauteur de 200 millions de dollars pour accélérer le développement de nouveaux antibiotiques, c'est vraiment une course contre la montre qui s’engage.
Que peut-on faire ?
Une seule solution : réduire l'utilisation des antibiotiques. Notre campagne "Les antibiotiques c'est pas automatique" a donné de bons résultats, mais cela reste anecdotique si les autres pays ne le font pas aussi. A vrai dire l'OMS a déjà défini une liste d'antibiotiques "d'importance critique" pour la santé humaine. Il faut élargir cette liste et surtout essayer de bannir partout leur utilisation chez l'animal, c'est vraiment le point clé.
A titre d'exemple, depuis 2001, l'Australie a mis en place une réduction de l'usage des quinolones chez l'humain (un antibiotique efficace contre les infections respiratoires et les otites), et a banni leur usage chez l'animal. Résultat : aujourd'hui, le taux de bactéries résistantes aux quinolones est bien plus faible que dans les autres pays. C'est ce genre de stratégie qu'il faut urgemment mettre en place partout.
Sources :
- Highly drug-resistant Salmonella entericaserotype Kentucky ST198-X1: a microbiological study, The Lancet Infectious Diseases, Early Online Publication, 28 May 2013, doi:10.1016/S1473-3099(13)70124-5
- Superbugs in food: a severe public health concern, The Lancet Infectious Diseases, Early Online Publication, 28 May 2013, doi:10.1016/S1473-3099(13)70141-5
- Legislation of clinical antibiotic use in China, The Lancet Infectious Diseases, Volume 13, Issue 3, Pages 189 - 191, March 2013, doi:10.1016/S1473-3099(13)70011-2
- Control of Fluoroquinolones Resistance Through Successful Regulation, Australia, Emerging Infectious Diseases CME. 2012;18(9):1453-1460
- WHO list of Critically Important Antimicrobials