Prématurés de Chambéry : une bactérie inconnue mise en cause
Des analyses effectuées sur un lot suspect de dix poches alimentaires saisies à l'hôpital de Chambéry, où trois nouveau-nés sont morts fin 2013, ont montré la contamination de six d'entre elles par "un germe d'origine environnementale" unique, encore inconnu, a indiqué le 8 janvier le ministre de la santé, Marisol Touraine.
Jean-Claude Manuguerra de l'institut Pasteur, a précisé que le germe était "une nouvelle bactérie, de la grande famille des entérobactéries (1), d'origine environnementale [c'est-à-dire qu'on peut trouver dans le sol, l'air ou l'eau]". Il s’agit d’une espèce "non décrite à ce jour et qui n'a donc pas encore de nom". Selon Ana Burguière, qui a coordonné les recherches à l'Institut Pasteur, elle serait "apparentée" à deux bactéries rares, Ewingella americana et Ranhella aquatilis (voir encadré).
Des analyses ont été faites sur dix poches au total, dont six se sont avérées contaminées. Dans une lettre diffusée le 7 janvier par le journal Libération, le Dr Michel Deiber, chef du service de néonatologie a estimé que la contamination par ce "bacille" était "la cause probable" des trois décès de bébés survenus dans son service "dans des circonstances identiques, à savoir un tableau de choc septique très brutal conduisant au décès en quelques heures malgré les manœuvres de réanimation sur place".
La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a indiqué à la presse que le "lieu ou le mode de contamination" des poches par le nouveau germe n'avaient pas encore été identifiés. Ses services ont également demandé, par mesure de précaution, la suspension des activités du laboratoire Marette, qui a produit ces poches.
Poches scellées
Mme Touraine a ajouté que dès les premiers soupçons d'anomalie apparus le 17 décembre 2013, les autorités sanitaires avaient décidé le retrait de 137 poches de nutrition parentérales suspectes. Toutes produites par le laboratoire Marette le 28 novembre dernier, elles avaient été distribuées dans sept établissements hospitaliers.
Au cours de la conférence de presse qui s'est tenue au ministère de la Santé, le directeur de l'agence du médicament (ANSM), Dominique Maraninchi, a déclaré que les stocks de poches du laboratoire ont été mis "en quarantaine" sur le lieu de fabrication et dans les hôpitaux qui en détiennent encore, parmi les quinze établissements approvisionnés par Marette.
Selon le procureur de la République de Marseille, Brice Robin, qui a pris la parole juste avant la conférence de presse du la ministre de la Santé, trois des six poches contaminées étaient scellées lorsqu'elles ont été analysées.
Le magistrat a indiqué qu'il n'exclurait "aucune piste", et qu'il rechercherait "d'éventuelles défaillances dans toute la chaîne de fabrication, de transport, de stockage et d'administration de ces poches de nutrition".
Les autorités sanitaires ont écarté l'hypothèse d'un acte de malveillance, compte tenu notamment du profil de la bactérie incriminée.
L'avocat du laboratoire Marette, maître Matthieu Lemaire, a tenu à rappeler qu'"à ce stade, aucun élément formel ne permet de relier l'existence des germes retrouvés [...] au laboratoire".
"Les inspecteurs de l’Ansm sont venus sur le site du laboratoire dès la mi-décembre", souligne l'avocat. "Depuis cette date près de 1.000 poches ont été fabriquées et distribuées sans le moindre incident."
La justice a ouvert le 6 janvier 2014 une information judiciaire contre X dans ce dossier pour "homicides et blessures involontaires, mise en danger délibérée de la vie d'autrui, et fabrication de médicaments sans respecter les règles de bonnes pratiques".
(1) Le terme d'entérobactérie, étymologiquement associée à la présence de certaines de ces bactéries dans la flore intestinale (de énteron, "intestin" en grec), regroupe une très grande variété de bactéries, présentes dans l'environnement (en majorité en milieux humides), mais également utilisées dans l'industrie (fermentation des produits laitiers…) et pour certains protocoles médicaux (production d'agents antiviraux, analyse de prélèvements médicaux...).
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Selon Ana Burguière de l'Institut Pasteur, interrogée par Allodocteurs.fr, l'analyse des séquences génétiques du germe incriminé dans les décès de Chambéry démontrent qu'il s'agit d'une entérobactérie, différente mais présentant des similtudes génétiques avec deux entérobactéries rares, pathogènes chez l'homme : Rahnella aquatilis et Ewingella americana. Cette dernière a déjà été impliquée dans des infections respiratoires en milieu hospitalier. Les organismes présentant des défaillances immunitaires représentent un terrain particulièrement favorable au développement de ces deux bactéries.
Bien que l'entérobactérie de Chambéry soit "inconnue", un contrôle de stérilité standard (tentative de mise en culture des bactéries) permet de détecter sa présence.