De riches patients étrangers au secours de l'hôpital public ?

Les riches patients étrangers peuvent-ils aider à renflouer les caisses de nos hôpitaux ? C'est en tout cas une des pistes explorées par le gouvernement. Il a commandé un rapport sur cette question à l'économiste Jean de Kervasdoué, rapport rendu il y a neuf mois et soigneusement gardé secret jusqu'à des révélations dans la presse il y a quelques semaines. Les explications avec Maroussia Renard, chroniqueuse spécialisée en économie.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Une polémique a éclaté au printemps dernier quand un émir du Moyen-Orient avait privatisé un étage de l'hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt, pour venir se faire opérer accompagné de toute sa suite. Il avait exigé des travaux dans les sanitaires et des aménagements de mobilier ce qui avait choqué s'agissant d'un hôpital public. L'idée du gouvernement n'est pas de transformer nos hôpitaux en établissements cinq étoiles pour satisfaire les puissants de la planète, mais simplement de s'inscrire dans un mouvement de mondialisation des soins, sur lequel la France a pris beaucoup de retard.

Depuis une dizaine d'années des pays européens comme l'Allemagne ou l'Angleterre mais aussi d'autres plus lointains comme la Thaïlande ou l'Inde ont développé une offre de soins à destination des patients du monde entier. Ce n'est pas du tout le cas en France : l'Etat ne s'est jamais vraiment soucié de cette question et à l'exception de certains établissements privés (IGR, hôpital américain), les initiatives sont rares. Par exemple, cela fait seulement deux ans que l'AP-HP a lancé une expérimentation pour développer ce secteur et pour le moment, les résultats sont bien maigres : elle accueille moins de 1% de patients étrangers alors que la proportion dans les hôpitaux américains de notoriété équivalente oscille entre 5 et 20%.

Quel est l'intérêt d'accueillir des patients étrangers ?

On peut évidemment parler de rayonnement de la France dans le monde et de valorisation de son savoir-faire médical. Mais la raison principale est économique. Selon le rapport Kervasdoué, l'accueil de patients étrangers pourrait rapporter jusqu'à deux milliards d'euros et permettre de créer entre 25.000 et 30.000 emplois d'ici cinq ans. Compte tenu de l'ampleur du trou de la Sécu et du déficit des hôpitaux, c'est une source de revenus non négligeable.

L'idée n'est pas de déplier le tapis rouge pour des émirs avec des mallettes remplies de billets, ni de faire de la France l'eldorado du lifting. D'ailleurs les spécialistes réfutent le terme de "tourisme médical" qui suggère plutôt des soins de confort. L'objectif serait d'attirer des patients souffrant de maladies cardiaques, de cancers ou d'autres pathologies lourdes qui ont les moyens de payer de leur poche une hospitalisation en France qu'ils jugent de meilleure qualité. Ou encore des malades qui vivent dans des pays dont le système de santé impose des restes à charge exorbitants, ce qui est le cas par exemple des Etats-Unis.

Comment attirer les patients étrangers ?

La France dispose d'atouts incontestables : l'excellence de ses équipes médicales, des hôpitaux de qualité, des premières mondiales notamment en chirurgie, des compagnies d'assistance de renommée internationale… Mais surtout des tarifs très compétitifs par rapport aux autres pays occidentaux. Par exemple, la pose d'un pacemaker à l'AP-HP coûte 7.000 euros dans un hôpital de réputation équivalente à Genève, il faut compter 25.000 euros, à Londres, 36.000 euros et à New-York, 39.000 euros. Les prix sont donc très attractifs pour les étrangers et les recettes attendues très intéressantes pour nos hôpitaux.

Pour ces patients, le système de tarification n'a rien à voir avec celui appliqué dans le cadre de l'AME (aide médicale de l'État), qui est réservée aux étrangers sans papiers. Il y a deux circuits différents : si le malade vient d'un autre pays européen ou d'un pays qui a signé une convention avec la France (ex : Suisse ou Algérie), l'hospitalisation est prise en charge par l'Assurance maladie de son pays. Si, ce n'est pas le cas, la loi française autorise les établissements à facturer comme ils veulent. Et ils ne s'en privent pas : à l'IGR par exemple, les patients étrangers payent 36% de plus que le tarif Sécu. À l'AP-HP, la majoration est de 30%. Et dans certains cas, on pourrait imaginer plus.

Des obstacles de taille

Problème : ces recettes potentielles se heurtent à des obstacles de taille. Selon le rapport Kervasdoué, pour l'instant, les hôpitaux publics français ne sont pas vraiment capables de relever le défi notamment à cause des lourdeurs administratives. Par exemple, il faut au moins trois jours à l'AP-HP pour fournir un devis à un patient étranger, contre quelques heures dans beaucoup de pays. L'interdiction de faire de la publicité pour une équipe médicale limite la visibilité internationale des hôpitaux français, en particulier sur Internet qui est le principal pourvoyeur de patients étrangers. Sans compter que les locaux de nombreux services hospitaliers ne sont pas à la hauteur de leur prestige médical, voire franchement vétustes et que le personnel paramédical n'est pas réputé pour sa maîtrise des langues étrangères.

Pour améliorer tout cela, le rapport Kervasdoué préconise de mettre en place une agence, baptisée "Medical France", chargée de promouvoir et organiser la prise en charge de ces patients. Il recommande également le développement de sociétés privées de "conciergerie médicale" capables d'organiser le séjour de A à Z : de l'arrivée à l'aéroport jusqu'à l'organisation, si nécessaire, d'un séjour à l'hôtel pendant la période de suivi.

Mais le principal frein est d'ordre "culturel". En France, on est très attaché à l'égalité d'accès aux soins. Or, beaucoup craignent que l'accueil de ces patients, plutôt riches, se fasse au détriment des autres. La publication de ce rapport a suscité une levée de boucliers de la part de beaucoup de soignants du public qui y voient la menace d'une médecine à deux vitesses. Pour Jean de Kervasdoué, ces craintes sont infondées parce que ces éventuels patients n'auraient aucun passe-droit, ils seraient traités comme les autres. La seule différence : ils paieront plus. On a envie d'y croire mais on peut imaginer qu'un patient qui par exemple fait le voyage depuis les Etats-Unis pour se faire opérer dans un de nos hôpitaux préfèrera choisir un médecin qui a une activité libérale et ce sera sans doute tentant pour certains d'entre eux de privilégier ces patients très solvables. On revient donc au problème de l'activité libérale à l'hôpital utilisée comme un coupe-file.

Est-on en mesure d'accueillir des patients supplémentaires ?

On parle souvent de nos hôpitaux au bord de l'asphyxie. Quand on est à peine capable de faire face à une épidémie de grippe, on peut se poser la question. La grande différence, c'est qu'il ne s'agit pas de soins urgents, ce sont des opérations planifiées longtemps à l'avance et il y a tout de même beaucoup de spécialités pour lesquelles il n'y a pas de liste d'attente dans nos hôpitaux.

Il faut relativiser, on ne va pas assister à un déferlement de "touristes médicaux" en France. Le rapport évalue à 1% au maximum la proportion de patients étrangers que l'on pourrait accueillir d'ici dix ans et il est précisé que cela ne peut pas se faire sans investir en hommes et en moyens, ce qui peut aussi bénéficier aux patients français. Les associations de patients n'y sont pas opposées, à condition de poser des garde-fous. Quant aux ministres concernés, ils ont annoncé avoir mis en place un groupe de travail sur la question, ce qui est rarement le signe d'une volonté politique farouche.

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