L'incroyable épopée d'une greffe de trachée

La première greffe de trachée développée à partir de ses cellules souches a eu lieu il y a cinq ans, en juin 2008. Si la bénéficiaire coule aujourd'hui des jours heureux, l'issue de l'opération était loin d'être certaine...

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Claudia Castillo, en 2008 (source : Hôpital de Barcelone)
Claudia Castillo, en 2008 (source : Hôpital de Barcelone)
La section de trachée, quelques instants avant la greffe (source : Harvard Bioscience)
La section de trachée, quelques instants avant la greffe (source : Harvard Bioscience)

A la suite d'une tuberculose, la colombienne Claudia Castillo avait perdu l'usage d'une partie de sa trachée, la section reliée au poumon gauche s'étant "littéralement effondrée". En mars 2008, n'ayant pas trouvé d'organe compatible pour procéder à une transplantation classique, les chirurgiens madrilènes qui suivaient la jeune femme ont décidé de réaliser une procédure totalement inédite : greffer à Claudia Castillo une trachée partiellement développée à partir de ses propres cellules souches.

Un organe dépouillé des cellules du donneur

Impossible cependant, en l'état actuel des connaissances scientifiques, de créer artificiellement une portion suffisamment importante d'un tel organe. Une section de trachée de sept centimètres de long a donc été prélevée sur un donneur décédé. Sans délai, des chercheurs de l'Université de Padoue (Italie) ont plongé ces tissus dans une solution contenant des enzymes particulièrement voraces. Six semaines plus tard, il ne restait plus de la trachée qu'un réseau de tissu conjonctif, très solide, et surtout dépouillé de l'immense majorité des cellules du donneur.

La portion d'organe fut alors transmise dans un laboratoire de Bristol (Royaume-Uni), dépositaire d'un échantillon de cellules souches prélevées dans la moelle osseuse de la patiente.

Une fois le réseau de tissus conjonctifs recouvert des précieuses cellules, le tout fut immergé dans un milieu nutritif. Quatre jours plus tard, un segment de trachée totalement compatible avec l'organisme de Claudia Castillo était prêt à être greffé.

Le compte à rebours était lancé. Des billets furent réservés pour le seul vol direct existant entre Bristol et Barcelone, et un jeune biologiste parti avec, entre ses mains, le conteneur renfermant tous les espoirs de Claudia.

Le rocambolesque voyage du greffon

Mais voilà : comme le relaterait la BBC quelques temps plus tard, le conteneur avait un volume supérieur à 100 millilitres. Intransigeant, les douanes de l'aéroport de Bristol ont donc refusé que celui-ci puisse voyager "comme un bagage à main". Selon eux, le laboratoire de Bristol n'avait pas effectué les démarches dérogatoires nécessaires - les scientifiques britanniques affirmant pour leur part avoir eu des contacts répétés avec le voyagiste plusieurs jours avant le vol...

Le jeune biologiste téléphona à un ami allemand, propriétaire d'un jet privé. Pour 14.000 livres (environ 10.000 euros), celui-ci pouvait rejoindre l'Angleterre en deux heures et réaliser la course dans les temps. Le directeur du laboratoire de Bristol fit passer cet impondérable en note de frais...

C'est donc avec un retard minime qu'à l'âge de 30 ans, Claudia Castillo eut sa trachée endommagée remplacée par un organe issu de ses propres cellules. La patiente se réveilla et pu soupirer de soulagement.

Dans un article du Lancet, publié en octobre 2013, les chirurgiens de Claudia expliquent que, six mois après l'opération, la jeune femme a fait état d'une gêne respiratoire croissante. Avec la cicatrisation des tissus, le diamètre de la trachée greffée s'était considérablement réduit. La pose d'un petit tube de métal au niveau du resserrement (un stent) s'est donc avérée nécessaire.

Tel fut le dernier incident qui émailla l'existence de la trachée de Claudia Castillo. Aucune bronchoscopie n'a, depuis lors, révélé la moindre anomalie.

Depuis 2008, plusieurs autres procédures chirurgicales inspirées de cette expérience madrilène ont été développées, qui ont permi de sauver plusieurs dizaines de patients dans le monde...

Sources :
- Clinical transplantation of a tissue-engineered airway, P. Macchiarini et al. Lancet 2008. doi:10.1016/S0140-6736(08)61598-6
- The first tissue-engineered airway transplantation: 5-year follow-up results, A. Gonfiotti, P. Macchiarini et al. Lancet 2013. doi:10.1016/S0140-6736(13)62033-4

 

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