Les 15 ans du ''Magazine de la santé'' : les mots du Pr Laurent Lantieri
Avec plusieurs greffes de visage à l'actif de son équipe, le Pr Laurent Lantieri est très sollicité par les médias. Le 26 février 2013, à l'occasion des 15 ans du "Magazine de la santé" à 20h30 sur France 5, il reviendra sur les progrès de cette chirurgie, et notamment sur le cas de Pascal, un jeune homme atteint de neurofibromatose. Avant cela, entre deux consultations, le professeur a répondu à nos questions sur la médiatisation de la santé en France.
- Les greffes de visage que vous avez effectuées avec votre équipe ont connu un engouement médiatique soutenu. Comment avez-vous géré les différentes demandes d'informations ?
Pr Laurent Lantieri : "Avant tout, l'important, c'est de ne pas faire du média pour du média. Certes, il faut que l'interrogation médiatique soit utile pour donner de l'information, mais il ne faut pas que ce soit uniquement une information pour le spectacle. Le problème, c'est que souvent, les journalistes, qui ne sont pas forcément spécialisés dans le domaine de la santé, sont attirés par le spectaculaire. Ce qui les intéresse c'est l'évènementiel, moi ce qui m'intéresse, c'est la santé."
- Ce type d'opération semble poser des problèmes d'éthique. Pour vous c'est quoi l'éthique ?
Pr L. L. : "L'éthique est un équilibre entre ce que je peux faire en tant que médecin, ce que je veux faire et ce que je dois faire. Ce triangle détermine ce que doit être notre comportement éthique. C'est ce que je dis souvent aux étudiants de médecine en première année, face à leurs interrogations ce sujet. Concernant un événement aussi important qu'une greffe de visage, c'est exactement la même démarche qu'il faut respecter. Est-ce que je peux faire ? Oui je suis capable de faire une greffe de face. Est-ce que je veux le faire ? Est-ce que je dois le faire ?"
- L'opinion publique vous influence-t-elle ?
Pr L. L. : "Le patient n'est pas un objet de recherche, c'est un sujet de recherche, et c'est son autonomie qui nous permet d'avancer. C'est ça le plus important à mes yeux. Ce que le grand public ressent, certes, c'est tout aussi important. Mais moi ce qui me préoccupe avant tout, ce sont les avancées médicales que l'on est en mesure de proposer pour le patient qui souffre."
- Que pensez-vous plus généralement de la médiatisation de la médecine ?
Pr L. L. : "Il y a un premier point qui est fondamental : la médecine n'est pas un spectacle. Et le bloc opératoire n'est pas une scène de théâtre non plus. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas trouver un moyen d'expliquer au grand public ce qui se passe. Une telle médiatisation, comme cela est fait dans le Magazine de la Santé, je crois que c'est très positif. Quand on interroge des médecins, quand on explique clairement, cela permet à tous de comprendre facilement, ce qui n'est pas négligeable, surtout du point de vue des téléspectateurs, car ce sont bien eux les acteurs de leur propre santé."
- Sur Internet, la profusion d'informations tend à démocratiser le diagnostic, qu'en pensez-vous ?
Pr L. L. : "Je n'appelle pas ça une démocratisation, non. C'est plutôt : tout le monde a le droit de tout faire et de tout dire… Et finalement on raconte n'importe quoi. Maintenant, faut-il interdire de parler sur le web ? Non.
"Il faut que ces sites Internet, qui sont une source d'informations, puissent être contrôlés et validés. C'est le cas d'ailleurs, puisque des labels existent."
- La profusion d'informations concernant notre santé ne nous rend-elle pas tous un peu hypocondriaques ?
Pr L. L. : "Sûrement ! Et je pense même que c'est l'une des sources de la surconsommation médicale en France.
"Internet est une vraie source d'informations, c'est incontestable. Mais c'est une source relative. La source d'informations principale, malgré tout, reste à celui qui possède le savoir. Et, il faut quand même le dire, celui qui a le savoir, a priori, c'est le médecin. On ne peut pas résumer quinze années d'études en médecine en une page de Wikipédia."
- Lorsque l'on redonne visage humain à des patients défigurés, ne se sent-on pas l'égal d'un Dieu ?
Pr L. L. : "Je répondrai par une devinette. Connaissez-vous la différence entre un chirurgien et Dieu ? C'est que Dieu, lui, ne se prend pas pour un chirurgien.
"Sérieusement, oui, il faut se méfier de cela. Mais vous savez, la matière humaine étant très malléable et très difficilement compréhensible, elle nous renvoie de temps en temps à nos insuffisances. On se lance dans quelque chose, pensant avoir très bien fait et puis il y a une complication, un échec, un drame. Et ça, ça nous rend humble. Surtout lorsque l'on fait une chirurgie élaborée comme dans ma discipline, il y a des moments de grande humilité."
- Que retenez-vous de vos passages au "Magazine de la Santé" ?
Pr L. L. : "C'est vraiment sympa ! (rire) Non, franchement, j'aime bien cette émission, je trouve qu'il y a une ambiance détendue et sérieuse à la fois, les informations qui sont communiquées sont des informations exactes. Il y a un vrai professionnalisme, sans flagorneries. En tout cas, pour moi, c'est toujours un plaisir que d'y participer."
- Vous avez un souhait pour les 15 ans de l'émission ?
Pr L. L. : "Oui. Je pense que le "Magazine de la Santé" devrait passer à 20h30 sur les grandes chaînes nationales. Voilà. Que souhaiter de plus ?"
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