Vers une greffe de rein recréé en laboratoire ?
Un cœur, des poumons, et maintenant des reins. Pour palier le déficit d'organes transplantables, des chercheurs du Massachussetts développent depuis plusieurs années une technique surprenante de production "à la demande". Leur idée : ôter des organes de sujets décédés toutes les cellules, pour ne garder que la structure générale, et repeupler la coquille vide avec des cellules issues du futur transplanté. Des travaux préliminaires sur des reins de rats ont donné lieu à une nouvelle publication, le 14 avril 2013, dans la revue Nature. Présentation d'un procédé encore balbutiant, porteur de grands espoirs.
Les organes disponibles pour une transplantation ne sont pas nécessairement compatibles avec les patients qui en ont le plus besoin. A priori, nul moyen de forcer la compatibilité des organes, les cellules qui le composent étant couvertes de marqueurs qui déclencheront l'attaque du système immunitaire. Qu'à cela ne tienne, répond en substance une équipe de chercheurs de l'Université du Massachussetts : débarrassons-nous de la majeure partie de ces cellules, et remplaçons-les par des éléments issus du futur organisme receveur !
Car se débarrasser des cellules qui composent un organe n'est pas exactement la même chose que de se débarrasser de l'organe. De très nombreuses protéines constituent son architecture générale, et lui confèrent sa rigidité et sa cohérence. Les scientifiques ont postulé que, pour peu que les vaisseaux sanguins qui irriguent la structure fussent préservés, un organe évidé pourrait servir de matrice au développement de cellules étrangères.
L'hypothèse était audacieuse, et les expérimentations destinées à la valider furent nombreuses. L'équipe du professeur Harald Ott parvint bientôt, en 2008, à évider un cœur de rat, puis à le repeupler de certaines cellules cardiaques étrangères. Les chercheurs ont ensuite cherché à reproduire ce premier succès avec des organes d'une structure plus complexe. En 2010, l'exploit fut ainsi réitéré avec des poumons. Le 14 avril 2013, une nouvelle publication dans Nature présente les premiers résultats obtenus en appliquant la méthode à des reins de rats.
Evider l'organe…
En cinq ans, le procédé initialement imaginé par Harald Ott s'est affiné, sans fondamentalement être modifié. La première phase consiste à ôter de l'organe une majorité de cellules vivantes, tout en maintenant son architecture à la fois cohérente et rigide. Seules doivent subsister les protéines présentes à l'extérieur des cellules, parmi lesquelles de grands volumes de collagène (qui confèrent aux tissus une partie de leur souplesse et de leur résistance). Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs vont perfuser, à pression constante, un détergent de laboratoire qui va littéralement décaper et récurer l'organe.
Les reins sont des organes fragiles. Au terme de plusieurs essais les biologistes semblent être parvenus à un dosage satisfaisant de la solution détergente et de la pression appliquée au nettoyage de l'organe. Ils sont en effet parvenus à réaliser un "rein évidé" duquel 90% des structures contenant de l'ADN avaient été éliminées, sans que des lésions notables dans le reste de la structure ne soient observées.
… et le "remplir" !
A la suite de cette première étape, les chercheurs ont introduit à l'intérieur de la matrice du rein des cellules issues de reins de très jeunes rats, ainsi que des cellules vasculaires issues du corps humain. "[Dans notre étude], nous avons utilisé des cellules qui avaient déjà initié leur différenciation en cellules rénales," a expliqué Harald Ott au cours d'une récente interview. "Les cellules n'étaient plus des cellules souches, mais se trouvaient [à un stade de développement qui leur permettait] de se réassembler en tissus fonctionnels."
L'organe a ensuite été placé dans un incubateur contenant l'oxygène, les nutriments et les conditions de températures suffisantes à la multiplication des cellules. S'adossant aux structures protéiniques et se reliant aux terminaisons vasculaires préservées, les colonies cellulaires ont peu à peu redonné à l'organe ses couleurs… et certaines de ses fonctions.
En faisant circuler du sang à l'intérieur du rein, les chercheurs ont en effet pu constater qu'un processus de filtration était initié. Celui-ci s'est traduit par la production d'un ultra-filtrat, c'est-à-dire une forme primitive de l'urine, qui est normalement réincoporée par le rein pour une nouvelle filtration.
Expérimentation in vivo
A défaut d'avoir obtenu un rein parfaitement fonctionnel, les biologistes ont souhaité statuer rapidement sur sa viabilité lors d'une connexion à un organisme vivant. L'organe a donc été greffé, pour une période de deux heures, à un rat de laboratoire. Durant le temps de l'expérience, aucune coagulation ne s'est initiée - la formation d'un caillot étant l'un des premiers signes de dysfonctionnements attendus.
Toutes ces expériences, les chercheurs le rappellent, sont destinées à valider le principe théorique d'une utilisation d'organes quelconques pour la production d'organes transplantables. De très nombreuses difficultés techniques et biologiques doivent encore être contournées.
Source : Regeneration and experimental orthotopic transplantation of a bioengineered kidney. Jeremy J Song, Jacques P Guyette, Sarah E Gilpin, Gabriel Gonzalez, Joseph P Vacanti & Harald C Ott. Nature Medicine, 2013. doi:10.1038/nm.3154
En France, chaque année, plus de 11 000 patients sont en attente de greffes d'organe, 4000 greffes sont réalisées, selon l'Agence de la biomédecine.