EHPAD en grève : "Autant de cynisme à l'égard des personnes âgées est insupportable"
Ce mardi 30 janvier 2018, les personnels des EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) seront en grève pour protester contre leurs conditions de travail. Un mouvement inédit soutenu par les directeurs d'établissements.
Pas assez nombreux, mal payés pour un travail épuisant physiquement et moralement, les soignants des maisons de retraite réclament une amélioration de leurs conditions de travail. Demain, ils seront en grève. Un mouvement inédit à l'appel de tous les syndicats. Jeudi, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn a tenté d'apaiser la grogne. Elle a annoncé une enveloppe de 50 millions d'euros supplémentaires pour les Ehpad en difficulté. Une somme insuffisante pour satisfaire les syndicats et les directeurs d'Ehpad. Les explications de Pascal Champvert, président de l'Association des Directeurs au service des Personnes Agées (AD-PA).
- Pourquoi les directeurs d'établissements soutiennent-ils l'appel à la grève de demain ?
P. Champvert : "Cette grève concerne l’ensemble des organisations syndicales qui sont unanimes. Je crois que dans le secteur, il s'agit vraiment d'une première. Elle a aussi reçu le soutien de l’ensemble des organisations de retraités, de familles notamment France Alzheimer. Au fond, le constat que nous faisons tous, personnes âgées, familles, professionnels, directeurs, c’est celui d’un pays qui accompagne mal les personnes âgées que ce soit à domicile ou en établissement."
- Dans un rapport, la députée LREM Monique Iborra parle de "maltraitance institutionnelle" des personnes âgées. Ce terme vous paraît-il adapté à la situation actuelle ?
P. Champvert : "On pourrait parler de maltraitance nationale. Ce ne sont pas les services, les établissements et encore moins les professionnels qui maltraitent, il s’agit d’une « mauvaise traitance » de la part des pouvoirs publics. Très concrètement, ça veut dire des résidents qui attendent au-delà du raisonnable quand ils ont sonné parce qu’ils ont besoin d’une aide à domicile. Ça veut dire des personnes âgées qui passent 23 heures 30 sur 24 totalement isolées à leur domicile. Il y a 700 000 personnes âgées en établissement, il y en a 700 000 accompagnées à domicile. Tout le monde est unanime pour dire que la façon dont sont accompagnées les personnes âgées dans notre pays n’est pas suffisante. Récemment, il y a eu deux éléments qui ont été de véritables provocations. D’abord, par le précédent gouvernement, la diminution d’un certain nombre de professionnels dans un certain nombre d’établissements alors que l’Etat avait promis, qu’en 2017, il y aurait entre 8 et 10 professionnels pour 10 personnes âgées. Aujourd’hui, l’Etat veut supprimer des personnels là où il y a 6,5 personnels. C’est inacceptable. A domicile, les organisations d’employeurs ont signé avec un syndicat une augmentation de salaire de 0,44%. Les autres syndicats n’ont pas voulu signer parce qu’ils ont trouvé ça insuffisant. L’Etat n’a même pas validé cet accord avec 0,44% considérant qu’il était trop important. Autant de cynisme à l’égard des professionnels mais surtout des personnes âgées et des familles, c’est insupportable et c’est ce qui a fait le mouvement de demain."
- La ministre de la Santé a annoncé une aide supplémentaire de 50 millions d'euros pour les EHPAD. Est-ce suffisant ?
P. Champvert : "Je pense que Madame Buzyn n’a pas compris l’enjeu de ce que nous disons. Madame Buzyn nous parle de donner 50 millions, je vous rappelle qu’il y a quatre mois, elle a détourné 100 millions des caisses de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), qui finance les accompagnements des personnes âgées handicapées. Madame Buzyn a repris 100 millions dans les caisses au détriment des personnes âgées et aujourd’hui, elle dit « je vais en donner 50 ». Ce n’est pas sérieux. Les enjeux ne sont pas de cet ordre. Ils sont bien plus importants, bien plus sociétaux. Il s’agit de la façon dont on accompagne nos aînés, c’est-à-dire ceux qui ont fait la France d'aujourd'hui."
- La société française prend-elle bien en charge ses aînés ?
P. Champvert : "Nous sommes dans une société qui est profondément « âgiste ». Si je tiens des propos racistes, sexistes, antisémitistes, ils seront repérés, je serai condamné et c’est tant mieux. Dire que quelqu’un est jeune, c’est un compliment. Dire qu’il est vieux, c’est une insulte. C’est ça qu’il faut faire évoluer ensuite. L’enjeu est économique ; il faut créer des centaines de milliers d’emplois. Il est aussi sociétal : comment nos personnes âgées vivent-elles dans notre société ? Enfin, il est éthique : comment l’âgisme est devenu une discrimination dans notre société."