Psychiatrie : un webdoc pour favoriser les diagnostics précoces
Dépression, sentiment de persécution, anxiété… Un webdocumentaire propose aux plus jeunes et à leur entourage des informations sur la santé mentale, sous forme bienveillante et ludique.
"Nous n’en pouvions plus de voir arriver en consultation des jeunes adultes qui présentent des troubles mentaux depuis quelques fois 10 ans et qui n’ont jamais été pris en charge", explique Violette Vanoye, psychologue en psychiatrie à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille. Avec une de ses collègue, elle aussi psychologue, elle a porté à bout de bras pendant près de 3 ans un projet de webdocumentaire dédié à la santé mentale des jeunes. Epsykoi, pensé et réalisé de bout en bout en collaboration avec de jeunes patients, est en ligne depuis le 10 janvier dernier. Organisé autour de quatre thèmes (la dépression, l'angoisse, les addictions et le sentiment de persécution), traité sur un ton décalé, Epsykoi propose des témoignages de jeunes malades et de leurs familles, des éclairages de psychiatres ainsi que des petites fictions et animations. Le but : dédramatiser et favoriser la prise en charge précoce, pour améliorer le pronostic des patients.
Mettre l’accent sur les signes avant-coureurs
Avec Epsykoi, pas question de parler de maladies psychiatriques. Les mots "dépression" et "schizophrénie" sont évités. "L’idée est justement d’intervenir avant l’entrée dans la maladie", justifie Violette Vanoye. L’adolescence peut s’accompagner de quelques tourments sans conséquences, propres à ce moment charnière de la vie, mais c’est aussi souvent à cette période que les premiers symptômes de la maladie mentale apparaissent. Alors que les patients plus âgés, installés dans leurs maladies, sont bien pris en charge, les jeunes qui présentent des premiers signes de fragilité psychologique passent bien souvent entre les "mailles du filet".
"C’est une sorte de zone grise, où les signes avant-coureurs de troubles qui pourraient ensuite s’avérer un peu plus graves, plus caractérisés, ne sont pas traités. Nous voulons dire aux jeunes que ce n’est pas normal d’être triste, angoissé, ou d’avoir des addictions", continue la psychologue. A la période souvent déstabilisante qu’est l’adolescence, bien réagir n’est pas toujours chose aisée pour les jeunes. "Ils ont moins de vécu et donc moins de ressources : c’est encore plus difficile pour eux de faire face à une souffrance psychique qui est inconnue, continue la psychologue. Epsykoi est là pour leur permettre de mieux comprendre ce qui leur arrive."
" Les parents peuvent aussi avoir du mal à faire la part des choses devant des changements d’humeur ou de comportement de leur enfant. "Un grand nombre de parents les attribuent à la fameuse "crise " naturellement traversée à cette période. Certains banalisent et attendent que ça passe, d’autres perçoivent bien une gravité particulière mais restent paralysés", détaille le Pr Marion Leboyer, psychiatre. Le repérage précoce par les professionnels de santé permet deux choses : soulager les jeunes de leur souffrance, mais surtout améliorer leur pronostic. "Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas de fatalité. Aujourd'hui on guérit un patient sur trois. Ils seraient plus nombreux si le retard n'était pas en moyenne de deux ans pour la schizophrénie et de dix ans pour les troubles bipolaires", ajoute la psychiatre.
Encourager la consultation
"Je reçois pas mal de jeunes dans mes consultations. Mais je pense que je n’en reçois pas assez", déplore le Dr Xavier Zendjidjian, lui aussi psychiatre, dans le webdocumentaire. Les jeunes consultent peu en raison, entres autres, des représentations négatives qui entourent, encore et toujours, la psychiatrie. "Autour des troubles psychiques se mêlent un sentiment d’impuissance, de peur et le poids du tabou qui persiste, ce qui complique l’accès aux soins ", constate le Pr Marion Leboyer.
Pour dédramatiser et encourager les jeunes à franchir le pas et parler aux personnes les mieux placées pour les aider, Epsykoi a fait appel à de jeunes adultes qui font part des difficultés qu’ils ont eu à traverser et prodiguent des conseils aux jeunes qui pourraient se trouver dans une situation similaire à celle qu’ils ont connue. Bien loin des clichés sur les personnes atteintes de troubles mentaux. "Nous voulons montrer aux jeunes qu’ils sont pas seuls, à travers des portraits positifs d’anciens patients. Les rassurer en leur prouvant qu’être mal, ça arrive à tout le monde, et que ça n’empêche pas de s’épanouir et se construire un avenir plaisant."
Les psychiatres qui interviennent pour parler de chaque symptômes jouent aussi un rôle dans le processus de dédramatisation : pédagogues, clairs et bienveillants, ils "ne font pas peur" comme le résume Violette Vanoye.
Simple outil en ligne, pour le moment, Epsykoi pourrait bientôt servir de support pédagogique dans des interventions dédiées à la santé mentale dans les lycées marseillais.