Ehpad de Lherm : « Quand on est en sous-effectif, ce genre de drame peut arriver »
Cinq résidents d'une maison de retraite de Lherm, près de Toulouse, sont décédés, probablement à la suite d'une intoxication alimentaire dans la nuit de dimanche à lundi. Les explications de Jean Arcelin, ancien directeur d'Ehpad.
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a martelé mardi 2 avril sa volonté de "comprendre" les circonstances du décès, probablement à la suite d'une intoxication alimentaire, de cinq résidents d'une maison de retraite à Lherm, près de Toulouse. Trois plaintes ont déjà été déposées par des familles. L'enquête, ouverte par le parquet, doit déterminer "si c'est un accident, un défaut de prise en charge ou une faute", a ajouté la ministre. Elle a réaffirmé que la suspicion était celle d'une intoxication alimentaire, mais sans "encore de preuves". Jean Arcelin, ancien directeur d'Ehpad et auteur de "Tu verras maman, tu seras bien " (Ed. XO) a répondu à nos questions.
- Est-ce que ce drame pourrait arriver dans n’importe quel Ehpad ?
Jean Arcelin : "Bien sûr. Ce qui est exceptionnel, c’est que cette intoxication alimentaire soit mortelle. J’ai dirigé deux Ehpad pendant trois ans, j’ai eu trois intoxications alimentaires de faible gravité. A partir du moment où on a des équipes en sous-effectif ou en tension, ce genre d’accident peut arriver."
- En quoi le sous-effectif pourrait expliquer ce drame ?
Jean Arcelin : "Il va falloir que l’enquête nous dise exactement ce qu’il s’est passé. Les repas étaient-ils préparés sur place ? En externe ? Pour l’instant, il y a une espèce de flou. Pourtant, je pense que le groupe auquel appartient cette maison de retraite sait précisément à l’heure actuelle ce qu’il s’est passé. Ce qui m’a interpellé dès le départ, c’est que cela intervienne un dimanche. Les professionnels du secteur savent que les week-ends sont plus sensibles et le dimanche particulièrement, on peut être en sous-effectifs parce que le dimanche il faut payer les gens deux fois plus et leur donner un jour de récupération."
- Comment se passait la préparation des repas dans l’Ehpad que vous dirigiez ?
Jean Arcelin : "Je dirigeais un Ehpad avec 120 résidents. La semaine, j’avais deux cuisiniers pour préparer 150 repas au total, avec ceux des équipes. Mais le week-end, je n’avais qu’un seul cuisinier. Alors on été obligés de s’avancer : la cuisine du samedi était préparée le vendredi par exemple et ainsi de suite. Les repas étaient réfrigérés et ensuite réchauffés. L’enquête le dira, mais il y a pu avoir un problème de rupture de chaîne du froid par exemple."
- Ce drame est-il symptomatique du business de certains grands groupes privés ?
Jean Arcelin : "Il ne faut pas forcément incriminer ce groupe en particulier. Tous les groupes commerciaux à but lucratif fonctionnent sur le même modèle. Ce sont des entreprises commerciales, qui sont subventionnées par l’Etat à hauteur de 40% ! Ces entreprises ne peuvent pas développer leur chiffre d’affaires car le nombre de lits est fixe donc la seule solution pour gagner de l’argent, c’est de réduire les dépenses. Et une des manières de réduire les dépenses, c’est de jouer sur les effectifs. J’ai quand même une pensée pour les familles, les victimes mais aussi les équipes. L’équipe qui est touchée est sans doute traumatisée."
- Le fils d’une des victimes nous a confié qu’il avait reçu un courrier il y a trois semaines pour lui dire que quand il voulait aller voir sa mère, il devait prévenir avant les équipes….
Jean Arcelin : "Si c’est avéré, c’est tout à fait inadmissible. Dans mon livre, je conseille aux familles d’aller rendre visite à leur proche en Ehpad à l’improviste. Si les équipes savent qu’il va y avoir une visite, naturellement, elles vont « préparer » un peu plus les résidents… J’espère que ce drame fera avancer les choses et améliorera le sort des 600.000 personnes âgées qui vivent en Ehpad en France. Notamment sur la qualité des repas. En moyenne, on consacre à peine plus d’un euro par repas, il faut réussir à faire mieux…"