Brésil : à la découverte des Urgences de Rio…
Rio : samba, batucada et caipirinha envahissent la ville le temps du carnaval. Chaque année, pendant une semaine, la fête bât son plein avec son lot de joies et d'excès qui se terminent parfois aux Urgences. Comment travaillent les urgentistes brésiliens ? Comment sont-ils formés ? En quoi diffère leur pratique de la nôtre ? Comment les patients sont-ils pris en charge ?
Pendant le carnaval, consommation d'alcool et de drogues se multiplient
En cette période de carnaval, les rues sont bondées de cariocas (habitants de Rio) et de touristes.
Les blocos (parades de Rio) commencent dès 8h du matin et leurs participants s'en donnent à cœur joie : déguisements, danses, batucadas (percussions) mais aussi drogues et alcool sont à la fête dans ce gigantesque festival.
L' Unidade de Pronto Atendimento (UPA), unité d'urgences de Copacabana tourne à plein régime et reçoit des patients pour des motifs très variées. L'UPA est une unité de premier secours avec des médecins capables d'établir un diagnostic rapide et un service minimal d'imagerie pour faire si nécessaire des radiographies standard.
"Si un patient a besoin d'un scanner, nous devons le transférer dans un grand hôpital pour le faire", me raconte le Dr Mauro Henrique de Lima, chirurgien et urgentiste.
Pendant cette période particulière du carnaval, nous pouvons convoquer d'autres médecins pour qu'ils nous aident à prendre en charge les patients en cas d'engorgement de l'UPA", ajoute t-il.
Intoxications alcooliques et toxiques se multiplient pendant le carnaval, les cas de violences s'accumulent.
"Depuis plusieurs années, de plus en plus de Brésiliens consomment du crack (cocaïne), une drogue qui ne coûte pas cher. Même si cette drogue est principalement présente dans les favelas, sa consommation tend à augmenter dans les rues même de Rio. C'est un véritable problème de santé publique", m'explique le Dr de Lima.
Ma visite de l'UPA commence par une surprise. Devant chaque porte battante : un garde de sécurité pour éviter que ne circulent les accompagnants. En sillonnant les couloirs, je découvre une structure particulièrement propre, bien ordonnée, sans aucun patient dans les couloirs.
Dans la salle d'attente de cette structure publique et gratuite, des personnes de milieux sociaux très divers. Mais pas les habitants des favelas qui préfèrent plutôt consulter médecins et infirmières dans les centres de santé de leurs quartiers.
Manifestement, les autorités brésiliennes ne m'ont pas orientée par hasard vers cette structure modèle. On est bien loin des autres Urgences publiques brésiliennes où les couloirs grouillent habituellement de patients et d'accompagnants, faute de places.
C'est ce que j'avais d'ailleurs constaté deux ans auparavant en travaillant dans un service d'urgences d'un grand hôpital de Belo Horizonte, troisième plus grande ville du Brésil.
Tiraillé entre deux spécialités
Le Dr Mauro Henrique de Lima travaille à l'UPA deux jours par semaine. Au Brésil, il n'existe pas de spécialité "urgences".
La plupart des médecins urgentistes ont une autre spécialité et sont volontaires pour pratiquer la médecine d'urgences en parallèle. C'est le cas du Dr de Lima : quand il n'est pas à l'UPA, il pratique la chirurgie vasculaire dans un hôpital privé.
Exercer dans cette unité publique est un choix pour ce jeune médecin passionné et dévoué.
Il est rare qu'un urgentiste travaille à temps plein dans un service d'urgences, il partage généralement son temps entre sa spécialité initiale et les Urgences.
"Nous sommes nombreux à poursuivre cette double activité après l'obtention de nos diplôme. Les Urgences nous obligent à étudier régulièrement, à nous mettre à jour des dernières recommandations et à ne pas perdre notre pratique clinique.
"J'ai donc choisi de poursuivre cette double activité pour ces raisons et cela me permet de travailler à la fois dans le public et dans le privé", me confit le Dr de Lima. Mais difficile pour lui d'être d'avantage présent à l'UPA.
Les médecins brésiliens, sous payés dans le service public, privilégient leur pratique vers les hôpitaux privés pour bénéficier d'un meilleur salaire et travailler avec du matériel de pointe.
"Le système de santé publique manque de médecins et de moyens. Il n'y a pas de secret.
"Pour améliorer le SUS, système unique de santé brésilien (voir encadré), il faudrait augmenter l'enveloppe budgétaire pour rehausser les salaires des médecins sous payés et acheter du matériel plus performant.
"Même si les médecins ne travaillent pas simplement pour l'argent, travailler dans de bonnes conditions est primordial pour prendre en charge correctement les patients", ajoute le chirurgien.
"Nous ne laisserons jamais un patient partir sous prétexte qu'il n'a pas d'argent pour payer l'opération mais le délai d'attente peut être plus long car les hôpitaux publics sont souvent débordés. En cas d'urgence vitale, le patient sera bien évidemment pris en charge en priorité", conclut-il.
Le "Sistema Único de Saude" (SUS) ou système unique de santé a été mis en place en 1988 et pose le "principe du droit à la santé pour tous". Il garantit officiellement un accès gratuit et universel aux services publics de santé.
Des mois d'attente pour une chirurgie, des erreurs médicales, des scandales de corruption ou des malades laissés à leur triste sort en raison d'un manque de lits d'hôpitaux, ont donné au système une mauvaise réputation.
Pour être soignés plus rapidement et devant le manque de médecins dans les hôpitaux publics, les patients qui peuvent se le permettre souscrivent à une assurance privée.