Gilets jaunes : 100 médecins appellent au boycott du fichage
Pour les médecins signataires, ce dossier révèle l’identité du patient et sa participation à la manifestation. Des informations auxquelles le ministère de l’Intérieur pourrait avoir accès.
Le dispositif SI-VIC a été créé après les attentats de Paris en 2015. Son objectif : identifier les blessés pour informer plus rapidement leurs proches. Depuis novembre, il est utilisé pour ficher les blessés lors des manifestations du mouvement social de protestation des gilets jaunes. Dans une tribune de l’Express, 100 médecins signataires dénoncent l'utilisation de ce fichier qui révèle les noms des patients et leur participation aux manifestations. Des informations auxquelles le ministère de l’intérieur pourrait avoir accès. Les explications du Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France (AMUF)
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"Nous devons au patient la garantie de l'anonymat"
Dr Christophe Prudhomme : " Nous devons au patient la garantie de l’anonymat. Ca fait partie du secret médical. Et là les informations que nous avons aujourd’hui sont encore plus graves que celles que vous décrivez parce qu’il est demandé aux directeurs d’hôpitaux de renseigner a postériori le fichiers SI-VIC pour contourner les médecins. Ce qui serait particulièrement scandaleux.
C’est-à-dire que dans un conflit social, nous n’avons pas besoin de recueillir l’identité des patients. Le fait que cette identité puisse être accessible au ministère de l’Intérieur, c'est inacceptable. Vous comprenez bien que la perte de confiance du patient qui en découle peut avoir des incidences en terme de santé publique. Si les patients ont peur d’être fichés, ils peuvent retarder une prise en charge. Et pour une lésion oculaire par exemple, si on consulte tard, il peut y avoir des conséquences dramatiques."
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Que répond le ministère de l’Intérieur ?
Dr Christophe Prudhomme : " Le ministère de l’Intérieur dit qu’il ne consulte pas le fichier. Sauf que la loi prévoit un accès au fichier donc dans les faits ils peuvent le consulter quand ils veulent. Il y a un vieux médecin à la retraite qui raconte sur un blog santé que cela lui rappelle 68 quand il était de garde à l’Hôtel-Dieu. Il voyait les policiers le matin venir pour aller relever les noms des blessés de la nuit pour aller les rechercher le matin. C’est une constante d’un certain nombre de gouvernements à certaines époques. On voit bien le préfet qui été nommé à Paris aujourd’hui et celui qui était là en 68… Il y a une certaine logique dans ces gouvernements... une logique de contrôle social des populations…"
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" On n'est pas là pour faire le contrôle social de la population "
Dr Christophe Prudhomme : En tant que médecin, on n’est pas là pour faire le contrôle social des populations. C’est inacceptable. Et c’est une chose que l’on ressent de plus en plus. Il y a un texte qui vient de sortir qui demande aux psychiatres de dénoncer les patients qui seraient hospitalisés en psychiatrie et qui montraient des signes de radicalisations. Vous voyez bien qu’il y a des dérives aujourd’hui qui posent problème. Il faut en discuter et en parler dans les médias.
Et vous voyez cette tribune elle rassemble des gens divers et variés, des gens comme Bernard Debré et moi même qui suis de l'AMULF et de la CGT, il y a quand même une distance mais ce qui nous rassemblent ce sont des valeurs. Et aujourd’hui on a l’impression qu’on perd ces valeurs et les valeurs de la médecine sont très importantes. Ce sont les valeurs de la solidarité, du vivre ensemble, de la confidentialité. Et c’est très important dans une société ! "
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" L'objectif n'est pas l'identification des victimes "
Dr Christophe Prudhomme : " L’objectif du fichier c’est l’identification des victimes pour que leurs proches les retrouvent plus vite. Là, ce n’est pas du tout l’objectif. Les responsables se perdent dans des argumentations qui ne sont pas valides. Ils ont expliqué dans un premier temps que c'était pour adapter les moyens dans les services d’urgence en cas d’afflux. Vous savez on a un autre logiciel, le logiciel "cerveau" qui recense à la minute près le nombre de personnes présentes dans un service d’urgence.
Dans mon service en Seine-Saint-Denis, nous nous sommes mis d’astreinte pour pouvoir revenir en cas de besoin. Donc on a des solutions. Là, il s’agit d’un fichier. Et un fichier, c’est bien un fichage. C’est du français. Après la connotation positive ou négative du fichage, elle est politique. Nous en tant que médecins, nous devons garantir l’anonymat de patients. "
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Que va t-il se passer lors de la prochaine manifestation ?
Dr Christophe Prudhomme : " Le problème c’est qu'on a demandé visiblement aux directeurs d’hôpitaux de remplir le fichier. Si les directeurs d’hôpitaux acceptent cette tâche qui est celle d’un fonctionnaire de la police ca va poser problème au sein de l’hôpital. L’hôpital ne peut pas fonctionner s’il n’y a pas de confiance entre les directeurs et les médecins. "