Refus d'affichage pour la campagne de Médecins du monde contre le prix des médicaments
Médecins du monde devait lancer, ce lundi 13 juin 2016, une campagne "choc" composée de douze affiches et d'une pétition visant à dénoncer les prix "révoltants" de certains médicaments pratiqués par l'industrie pharmaceutique, impactant notre système de santé. Mais il n'y aura pas d’affichage urbain conventionnel, les réseaux d'afficheurs ayant décliné la demande de l'ONG.
L'ONG Médecins du monde s'est vu refuser par les réseaux d'afficheurs le lancement de leur campagne choc, intitulée "Le prix de la vie", ce lundi 13 juin 2016, dirigée contre les prix révoltants des médicaments pour traiter notamment le cancer et l'hépatite C. Selon un document consulté par le magazine Les Inrocks, l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) aurait "déconseillé" à ces sociétés de prendre le risque de diffuser ces images. Tous ont suivi son "conseil". Il n'y aura donc pas d'affichage urbain conventionnel (métro, abribus) pour cette campagne. Mais, en réaction, un affichage "sauvage" est prévu par les 1.200 bénévoles de l’ONG. La campagne sera également relayée sur le web, les réseaux sociaux et par les quotidiens nationaux.
Une campagne choc
Volontairement cynique, la campagne dénonce les marges de l'industrie pharmaceutique grâce à douze affiches axées sur la rentabilité des maladies qui questionnent et interpellent : "Avec l'immobilier et le pétrole, quel est l'un des marchés les plus rentables ? La maladie" ; "1 milliard d'euros de bénéfices, l'hépatite C on en vit très bien" ; "Le mélanome c'est quoi exactement ? C'est 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires" ; "A partir de combien de milliards de bénéfices considère-t-on que le prix des médicaments est abusif ?"
Une porte parole de Médecins du monde nous explique : "Le prix des médicaments est en constante augmentation. Par exemple, le Sovaldi®, pour soigner l’hépatite C chronique, est vendu 41.000 euros par patient : la société Gilead réalise donc un bénéfice de 400 fois son prix. Le cas de l’hépatite C n’est qu’un exemple : aujourd’hui les traitements contre le cancer sont eux aussi devenus un vrai marché pour les firmes. Le Glivec® (traitement contre la leucémie), est aujourd’hui vendu 40.000 euros par patient pour un coût de production de seulement 200".
L’ONG appelle donc le gouvernement à prendre ses responsabilités envers ses pratiques qui mettent en péril notre système de santé : "Si nous ne faisons rien, si l’état ne joue pas son rôle de régulateur pour limiter l’inflation des prix, nos médicaments ne pourront bientôt plus être remboursés", poursuit-elle. Et de poser la question : demain, serons-nous tous en mesure de payer de telles sommes pour notre santé ?
Ne pas froisser les laboratoires
Après avoir pris connaissance des images de la campagne de l’ONG transmises par Médiatransports, l’ARPP a fait part de son avis dans un document que s'est procuré Les Inrocks : "Nous attirons particulièrement votre attention sur le risque de réactions négatives que pourrait susciter l’axe de communication choisi, de la part des représentants de l’industrie pharmaceutique. En effet, les entreprises ainsi mises en causes pourraient estimer qu’une telle campagne porte atteinte à leur image et leur cause un grave préjudice et décider d'agir en ce sens". Médiatransports "suit" le conseil. L'ONG sollicite alors d’autres sociétés de médias-transport comme JC Decaux et le réseau d’affichage Insert qui laissent également leurs sollicitations sans réponses, toujours selon Les Inrocks. Tous, semble-t-il, ont compris l'avertissement de ne pas froisser l'industrie pharmaceutique.
Le Dr Françoise Sivignion, présidente de Médecins du monde, dénonce également une complaisance des autorités chargées de réguler le marché des médicaments vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique : "Elles ne jouent plus leur rôle et s’alignent trop souvent sur les prix avancés par les laboratoires".
Les industriels répliquent, Médecins du monde persiste et signe
Les représentants des industriels sont rapidement montés au créneau contre Médecins du Monde. Sur France Info, Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les Entreprises du médicament), a jugé cette campagne outrancière et caricaturale, considérant que "les afficheurs [avaient] eu raison de ne pas [lui] laisser d'espace". "Cette campagne allait véritablement trop loin dans le dénigrement et la diffamation", a-t-il poursuivi. Et d’affirmer à l’antenne que "l'industrie pharmaceutique [avait] une culture du débat et de l'échange". Interrogé sur la diffusion de la campagne dans la presse écrite, Philippe Lamoureux a d’ores et déjà annoncé que le Leem allait "[s’]opposer à cette campagne".
Dans un communiqué diffusé le même jour, le Leem avance que "le prix de ces médicaments est fixé par le Comité économique des produits de santé à l’issue de négociations avec les industriels [et qu’en aucun cas], les industriels ne fixent donc leur prix de façon unilatérale". Le communiqué affirme en outre que "le secteur pharmaceutique est l’un de ceux qui investit le plus dans les activités de [recherche et développement], avec un taux moyen de 15 % du chiffre d’affaires. Ce taux s’élève souvent au-delà de 30 % pour les entreprises les plus innovantes".
Contacté par Allodocteurs.fr, Olivier Maguet, responsable de la campagne chez Médecins du Monde, affirme rejoindre le Leem sur plusieurs points. "Dans son communiqué, le Leem dit que ce n’est pas eux qui fixent les prix, mais l’État, via le CEPS (Comité économique des produits de santé). Nous ne disons pas autre chose. Le marché du médicament est un marché atypique, qui est et qui doit être régulé. Mais depuis des années, toutes les dérives ont, in fine, été acceptées par l’État. Peut-être que le résultat attendu par le Leem est différent, mais oui, nous demandons également à ce que l’état joue son rôle".
Concernant les arguments liés à innovation, Olivier Maguet reprend également à son compte les arguments du Leem. "Ils disent que les médicament sont chers à produire, que seul 7% des molécules testées arrivent en bout de course. Soit ! Mais nous en avons assez de les croire sur parole. C’est le second axe de notre campagne : nous demandons la transparence sur les coups réels de la Recherche et Développement (R&D). Regardons le cas du Sovaldi®. Selon un rapport de la commission d’enquête du Sénat des États-Unis le laboratoire Pharmasset, qui a initialement développé le produit, les coûts de R&D s’établissent à 62 millions de dollars. On peut imaginer qu’avec les recherches complémentaires par Gilead, on atteint 500 millions de dollars. Si l’on regarde le chiffre d’affaire lié au seul Sovaldi®, sur 2014 et 2015, on dépasse les 15 milliards de dollars !"