Sovaldi®, le médicament le plus cher de l'histoire
Le Sovaldi®, un traitement contre l'hépatite C, est devenu en quelques mois un des médicaments les plus chers de l'histoire de l'Assurance maladie et le pire cauchemar d'un gouvernement en quête d'économies. Décryptage avec Maroussia Renard, chroniqueuse spécialisée en économie.
Si le Sovaldi® est aujourd'hui devenu un cauchemar, au départ son histoire était belle. Ce médicament a été mis au point il y a quelques années par une petite start-up américaine, qui a ensuite été rachetée par un grand laboratoire qui s'appelle Gilead. Très rapidement, les essais cliniques ont montré que cet antiviral permettait de guérir près de 90% des patients atteints de l'hépatite C alors que les anciens traitements guérissaient à peine 50% des malades.
Les spécialistes n'ont pas hésité à parler de "révolution thérapeutique", d'autant plus que contrairement aux autres médicaments de référence, le Sovaldi® n'a quasiment pas d'effets secondaires. A priori ce médicament a toutes les qualités, le seul problème reste son prix : un comprimé de Sovaldi® coûte 666 euros et comme le traitement dure généralement douze semaines, il faut compter environ 56.000 euros par patient.
Ce prix n'est pas encore définitif. Le Sovaldi® est arrivé en Europe fin 2013 et pour l'instant, il n'a pas encore obtenu d'autorisation de mise sur le marché (AMM) en France. Il bénéficie de ce qu'on appelle une ATU, autorisation temporaire d'utilisation et dans ce cadre, c'est le labo qui décide librement du prix. Actuellement a lieu le bras de fer entre les pouvoirs publics et le fabricant au sein du très secret Comité économique des produits de santé pour fixer le prix en vue d'une commercialisation. Mais il n'y a aucune raison pour que le laboratoire revoit ses ambitions à la baisse.
Pourquoi le Sovaldi® coûte-t-il si cher ?
On pourrait se dire que ce prix élevé s'explique par son coût de fabrication. Gilead refuse de communiquer là-dessus mais une équipe de chercheurs d'Oxford s'est penchée sur la question et estime que le coût de production du Sovaldi® s'élève à 74 euros pour trois mois de traitement. Autrement dit, le prix demandé par le labo est 756 fois plus élevé que le coût réel de fabrication. On ne peut pas non plus attribuer ce prix au coût de la recherche puisque c'est la recherche publique (menée notamment par l'ANRS) sur le virus de l'hépatite C qui a largement contribué à la mise au point de ces nouvelles molécules.
Le laboratoire justifie cet écart astronomique en invoquant les sommes investies en 2011 quand il a racheté la molécule à la start-up qui l'avait fabriqué. Cela a coûté 11 milliards de dollars. Mais au prix où Gilead vend son médicament aux Etats-Unis et dans certains pays d'Europe, il a déjà largement rentabilisé son opération. Il semblerait qu'on soit plutôt dans une pure logique de profits. Le directeur de l'Assurance-maladie a même parlé de "hold-up" de la part du labo, ce qui est assez rare dans le langage d'ordinaire feutré de cette instance.
L'autre argument de Gilead concerne le rapport coût-efficacité. En clair, son médicament est cher mais il permet de guérir la plupart des malades, du coup cela évitera beaucoup de cirrhoses et de transplantations du foie dont la prise en charge est très coûteuse. Et à long terme, cela permettra donc de faire des économies. Le bémol : les études sur lesquelles Gilead s'appuie sont financées par ses soins. Au-delà de ça, l'argument est assez peu valable. Des vaccins coûtent moins de 15 euros (DTP, ROR…) et permettent de prévenir des maladies dont les complications sont beaucoup plus coûteuses.
Une facture salée pour l'Assurance maladie
Ces prix ne sont pas inédits dans le monde de la santé. Mais jusqu'à présent, les médicaments aussi chers concernaient surtout des maladies orphelines, qui touchent très peu de patients. Le problème, c'est que l'hépatite C touche plus de 200.000 personnes en France. L'Assurance maladie a sorti sa calculette : même en ne traitant que les patients les plus touchés (25.000), le Sovaldi® coûterait près de 2 milliards d'euros par an, soit 7% du budget annuel du médicament en France pour un seule molécule. C'est inenvisageable si on veut continuer à prendre en charge les traitements de toutes les autres pathologies.
Pour l'instant dans le cadre de l'ATU, le Sovaldi® est réservé aux patients les plus touchés (qui ont une cirrhose ou une fibrose hépatique sévère). Mais quand le médicament aura son AMM, les associations de patients craignent qu'il y ait une forme de rationnement à cause du prix avec une "sélection" des patients sur des critères non-médicaux.
Les solutions pour faire baisser le prix du Sovaldi®
En attendant de fixer le prix définitif du Sovaldi®, le ministère de la Santé a dû trouver une solution d'urgence pour pouvoir boucler le budget de la Sécu. Et on peut dire qu'ils ont sorti l'artillerie lourde : c'est une disposition prévue par un article du code de la Sécurité sociale qui date de 1999 mais qui n'avait jamais été utilisée. Elle permet à l'Etat de prélever une taxe sur le chiffre d'affaires des laboratoires à partir d'un certain plafond. On ne peut pas viser une firme en particulier, le gouvernement a donc un peu remanié le texte pour l'élargir à tous les labos qui fabriquent les nouveaux traitements contre l'hépatite C. Au final, c'est bien Gilead qui est dans la ligne de mire. Pour autant, rien ne dit qu'il acceptera de baisser son prix.
Une autre solution pour contraindre le fabricant est la licence obligatoire. C'est ce que réclament plusieurs associations de patients mais aussi quelques députés. Il s'agit d'un mécanisme prévu par les accords de l'OMC qui autorise un tiers à fabriquer un produit breveté sans le consentement du titulaire du brevet. En clair, cela permettrait à la France de faire fabriquer des génériques du Sovaldi® sur le champ, sans attendre que le brevet de la molécule tombe dans le domaine public, ce qui en général se fait au bout de dix ans.
Officiellement il s'agit d'une des pistes à l'étude mais il y a très peu de chance que le gouvernement l'utilise. Jusqu'à présent, la licence obligatoire a surtout été utilisée par des pays en voie de développement pour des traitements contre le VIH et si la France l'utilisait, cela ressemblerait vraiment à une déclaration de guerre contre l'industrie pharmaceutique.
Débat autour de la fixation du prix des médicaments
En attendant de connaître le prix définitif, la polémique autour du Sovaldi® ouvre un débat plus large. Au-delà de ce bricolage législatif, tous les spécialistes appellent à revoir les critères de fixation des prix du médicament en France qui sont très opaques. À l'heure des restrictions budgétaires, cette affaire a le mérite de poser une question cruciale : est-ce qu'un jour en France un médecin sera obligé de dire à son patient qu'il peut le guérir grâce à un médicament, mais qu'il ne peut pas lui prescrire parce qu'il coûte trop cher ? Il est urgent d'ouvrir un débat économique mais aussi éthique sur la politique du médicament en France.