Jean Leonetti : "dormir pour ne pas souffrir avant de mourir, et non pas dormir pour mourir"
Dans la soirée du mercredi 27 janvier, députés et sénateurs ont définitivement adopté une nouvelle loi sur la fin de vie, plus de dix ans après la loi Leonetti. Le texte accorde de nouveaux droits aux patients. Mais comme la précédente loi, ni le droit à l'euthanasie ni le droit au suicide assisté n'ont été envisagés. Avancée historique pour les uns, écran de fumée pour les autres, cette loi ne laisse pas indifférent. Jean Leonetti, député Les Républicains, auteur de la loi de 2005 et co-auteur avec le député (PS) Alain Claeys du nouveau texte, répondait ce 26 janvier à nos questions.
Le texte sur la fin de vie a été détricoté par le Sénat en octobre 2015, après avoir été validé par l'Assemblée nationale. Il est passé par un long processus législatif avec plus de trois ans de débat. Un consensus a finalement été trouvé par la commission mixte paritaire. Trois ans de débat, est-ce que ce n'est pas long pour des changements qui ne vont pas tout bouleverser ?
Jean Leonetti : "Le débat est utile. Ce qui est bien c’est que ce débat ne s’est pas produit dans un contexte médiatique. Généralement, il y a une affaire médiatique et on se tourne vers les parlementaires pour qu’ils fassent une loi. Cette fois-ci, ce n’était pas le cas. Le président de la République s'est engagé à prendre un député de la majorité et un député de l’opposition pour élaborer un texte à partir de deux rapports, celui du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et le rapport Sicard.
"Nous avons élaboré un texte, et ce n’était pas gagné d’avance, car nous n’avons pas les mêmes convictions. Ensuite, nous sommes allés devant l’Assemblée nationale qui a voté le texte, mais le Sénat a tellement changé le texte qu'il n’a même pas voté le texte qu'il avait modifié. Donc on a refait la navette parlementaire et ensuite en commission mixte paritaire, avec sept députés et sept sénateurs, nous avons trouvé non pas un « consensus mou », mais à une précision, à une levée des ambiguïtés, qui fait qu'on sait ce que le texte veut dire et pourquoi il est fait."
Parmi les précisions, la future loi prévoit le droit à une sédation profonde et continue, associée à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie. Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ?
Jean Leonetti : "Ce qu’on a voulu créer est un droit à ne pas souffrir en toute fin de vie. Ce droit n’est malheureusement pas respecté en France. L’esprit de la loi de 2005 était de ne pas abandonner les personnes, de ne pas laisser souffrir et de ne pas s’acharner. Pourtant, il y a encore 12% des Français qui hurlent de douleur pendant les heures qui précèdent leur mort. C’est inadmissible, car nous avons les moyens pour empêcher cela et parce qu’on a l'organisation pour le faire.
"Donc on a voulu créer un droit, le droit du malade de dire « lorsque je souffre trop et que ma fin est proche, je demande si je le souhaite qu'on arrête tout et qu’on m’endorme pour que la mort survienne dans mon sommeil ». C'est dormir pour ne pas souffrir avant de mourir, ce n'est pas pas dormir pour mourir.
"Si vous réfléchissez au fond, que demandent les Français ? Mourir tardivement, en bonne santé, dans leur sommeil et un peu de manière inaperçue, sans voir la mort arriver avec tout ce que cela représente comme angoisses. La médecine sait endormir et réveiller. Elle a des médicaments puissants pour empêcher toute souffrance. Et s’il y a un objectif à cette loi, c’est que nous avons tous le droit de nous endormir avant de mourir si les souffrances que nous avons en fin de vie sont insupportables."
Dans la nouvelle loi, pas question d’euthanasie ni de recours au suicide assisté, mais ces deux pratiques existent et sont légalisées, l'une en Belgique et l’autre en Suisse. Est-ce que ne pas les autoriser en France ce n’est pas créer une discrimination entre ceux qui ont les moyens d’aller faire ça à l’étranger et ceux qui n'ont pas les moyens ?
Jean Leonetti : "La discrimination, elle est pour les Belges. On vient d’avoir une affaire qui est passée inaperçue médiatiquement. Une jeune femme qui demande la mort, à qui on accorde la mort, et qui au dernier moment de la dernière seconde dit non, et retrouve goût à la vie. Le problème est lourd de se dire que dans une société évoluée et démocratique, comme la Belgique, on puisse donner la mort à quelqu’un qui le demande simplement parce qu’il estime que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue.
"Je suis d’accord avec Robert Badinter pour dire que dans une société démocratique et évoluée on ne donne pas la mort et surtout pas aux plus faibles. Par contre, on ne les abandonne pas, on ne les laisse pas souffrir et on ne les prolonge pas de manière anormale. Si ces trois objectifs étaient respectés je pense que l’on n’aurait pas autant de débats autour du droit à la mort."
Il y a ce qu’on appelle les directives anticipées, on ne peut pas toujours exprimer son souhait d'en finir, comment faire ? C'est assez mal connu, doit-on l’écrire avant, désigner une personne de confiance ?
Jean Leonetti : "C’est notre faute si c’est mal connu. D’abord on peut tous désigner une personne de confiance. On prend une personne, on lui dit « le jour si par malheur je ne peux plus m'exprimer, à la veille de ma mort, au moment où les décisions doivent être prises, et que je ne peux pas le faire parce que je suis dans le coma ou inconscient, c'est vous qui parlerez à ma place ». Et cela s’écrit sur une simple feuille de papier.
"Le deuxième point c'est de prendre des directives anticipées [ndlr : rédiger ses volontés thérapeutiques et choisir sa personne de confiance]. Prenons un exemple. « Si un jour, j’ai mon cerveau totalement détruit je n’ai pas envie qu’on me maintienne en vie des semaines, des mois, des années. J’ai envie que raisonnablement on parle à ma famille, qu’on arrête les traitements et qu’on m’endorme pour être sûr de ne pas souffrir au moment où on arrête ces traitements de survie. » C’est un peu compliqué à écrire sur un papier blanc...
"On constate que par rapport aux Allemands qui ont à peu près les mêmes législations que nous, en France seulement 2% écrivent ces directives alors qu’ils sont 12,5% Outre-Rhin. Ils ont un modèle qui va servir comme référence et cela, grâce à la loi, la Haute Autorité de Santé (HAS) va pouvoir le mettre en place. Enfin, aujourd’hui dans la loi, le médecin doit en tenir compte, mais on a voulu rendre ces directives plus contraignantes : il ne peut pas uniquement en tenir compte. Il faut qu’il évalue la situation et si elle correspond à ce que le malade a souhaité alors on doit interrompre le traitement et ne pas prolonger artificiellement la vie, ce qui était déjà dans le texte de 2005."
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