Consultations privées à l'hôpital : une médecine à deux vitesses ?
Certains médecins hospitaliers proposent des consultations privées qu'ils sont autorisés à facturer au-delà du tarif Sécu. Or, ces dépassements d'honoraires à l'hôpital public donnent lieu à des abus très décriés.
C'est ce qu'on appelle le secteur "privé" à l'hôpital public. Une appellation qui peut paraître étonnante. Lorsqu'un patient contacte différents services hospitaliers pour prendre rendez-vous avec un chef de service ou un professeur, on lui demande tout de suite s'il s'agit d'une consultation publique ou privée. Les tarifs sont différents entre une consultation publique et privée, elle est toujours plus chère en privé.
Des délais plus courts en privé
S'il existe une différence de tarifs entre une consultation publique et privée, les délais pour obtenir un rendez-vous sont aussi différents. Les délais sont en effet plus courts pour une consultation privée. Si vous choisissez la filière classique, publique, cela peut aussi avoir une influence sur la qualité de la prise en charge.
Ces différences donnent un peu l'impression qu'à l'hôpital public, il y a d'un côté les VIP, ceux qui peuvent payer et pour qui on sera aux petits soins, et d'un autre, le reste des patients.
L'exercice libéral à l'hôpital, une pratique tout à fait légale
Le privé à l'hôpital est en théorie très encadré et n'est pas une nouveauté. Cela date de 1958 au moment de la créaton des CHU. L'idée était d'attirer vers ces hôpitaux les médecins qui exerçaient en cabinet. Il fallait donc leur conserver des honoraires confortables. Aujourd'hui, certains médecins hospitaliers conservent ce droit de faire du privé, et donc des dépassements. Mais il existe deux conditions.
Les médecins hospitaliers ne peuvent pas y consacrer plus de 20% de leur temps de travail (1 à 2 demi-journées par semaine) et ils sont obligés de verser une redevance à l'hôpital en contrepartie de l'utilisation des locaux, des équipements et éventuellement de la participation du personnel, pour une chirurgie par exemple.
Polémique sur les dépassements d'honoraires des médecins hospitaliers
Très peu de médecins hospitaliers ont une activité privée et la plupart d'entre eux respectent les tarifs Sécu. Seule une minorité de médecins pratiquent des dépassements : 2.180 médecins hospitaliers sur un total de 46.000 en France. Il s'agit principalement de chirurgiens, de gynécos et des ophtalmos. Sans surprise, ils exercent surtout à l'AP-HP ou dans les grands CHU.
Les dépassements d'honoraires des médecins hospitaliers font polémique car s'il n'existe aucune limite officielle pour les dépassements, hormis celle du "tact et mesure", cela reste très subjectif et à l'hôpital, les tarifs peuvent atteindre des sommes astronomiques. Or, les dépassements ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale et de moins en moins par les mutuelles. Paradoxalement, vous pouvez vous retrouver avec une facture plus lourde à l'hôpital que dans une clinique privée.
France Assos Santé a épluché des centaines de devis et les résultats sont étonnants. Par exemple, pour la cataracte, la Sécurité sociale rembourse 271 euros. Dans certains hôpitaux parisiens, des médecins facturent entre 800 et 2.000 euros alors que dans les cliniques de la capitale, le coût est en moyenne de 758 euros.
Le plus révoltant, c'est sans doute que cela concerne aussi des maladies graves. Une étude menée par la Ligue contre le cancer montre que le dépassement moyen pour une mastectomie à l'hôpital est de 215 euros (en clinique, il s'élève à 301 euros.) Est-ce qu'une femme obligée de se faire retirer un sein à cause d'une tumeur doit vraiment payer une partie de sa poche ? Est-ce que, quand elle veut se le faire reconstruire, il est acceptable qu'elle soit parfois obligée de prendre un crédit ?
Quel avenir pour le privé ?
En théorie, le patient a le choix. Rien ne l'oblige à choisir le secteur privé. Mais en pratique, dans certains hôpitaux, le secteur privé est devenu un coupe-file. La Ligue contre le cancer a en effet recueilli de nombreux témoignages sur cette question et ils confirment la tendance. Les délais en secteur privé sont plus courts mais en contrepartie les dépassements d'honoraires sont élevés. Le privé crée donc une inégalité d'accès aux soins, voire une perte de chances, que certains jugent inacceptable au sein même de l'hôpital public.
Si ces dérives sont fréquemment dénoncées, rien n'est mis en place pour les éviter. L'argument principal consiste à dire que la suppression du privé à l'hôpital entraînerait le départ des meilleurs médecins dans les cliniques, pour être mieux payés. Car il existe en effet de gros écarts de revenus. Dans le privé, tout le monde pratique des dépassements. Mais il y a aussi des grands médecins à l'hôpital qui ne font pas de privé et qui restent parce qu'il s'agit du seul endroit où ils peuvent à la fois soigner, enseigner et faire de la recherche. Pour certains, cela n'a pas de prix. Ces dépassements font aussi entrer un peu d'argent dans les caisses des hôpitaux (redevance), ce qui est pour eux non négligeable compte-tenu de leurs déficits.
Depuis quelques années, un contrôle du secteur privé a tout de même été mis en place. Par exemple, les médecins sont obligés de rendre compte précisément du volume d'actes réalisés en privé pour être sûr que cela ne se fait pas au détriment de l'activité publique. Mais l'auto-discipline n'est pas toujours efficace et les sanctions sont rares. Il s'agit presque d'une question philosophique : quel système de soins souhaite-t-on ? Doit-on accepter cette médecine à deux vitesses ? Vaste débat. Une certitude en revanche, aucune étude n'a montré que les médecins qui faisaient des dépassements étaient plus compétents que les autres.