Quand la pénurie d'anesthésistes perturbe les interventions chirurgicales
Au cœur des difficultés rencontrées dans les hôpitaux : le nombre de postes vacants dans tous les services et tous les métiers hospitaliers. Reportage à Marseille dans un service d'anesthésie.
Parmi les spécialités médicales les plus touchées par le manque de personnel : les anesthésistes, et encore plus particulièrement les anesthésistes pédiatriques. Longs délais d’attentes, annulation de dernière minute, de plus en plus de familles sont touchées par cette pénurie.
Sophie et Antonin habitent près de Toulon mais pour tout le suivi spécialisé d’Antonin, polyhandicapé, ils doivent aller jusqu’à hôpital pédiatrique de La Timone à Marseille. L’année dernière, le chirurgien d’Antonin a proposé de corriger la déformation de sa colonne vertébrale. Mais après des mois d’attente, la veille du jour prévu pour l’opération, elle a été annulée et reportée.
"Ca a été difficile, moi j’en ai pleuré. Antonin n’a pas mangé pendant deux jours. Ca a été sa façon à lui de se manifester… " explique Sophie, la mère d'Antonin. Finalement son fils a été opéré quelques semaines plus tard.
"On est sur la corde raide"
Les chirurgiens comme le Pr Jouve sont confrontés régulièrement à des annulation ou des reports d'intervention à cause de la pénurie d’anesthésistes pédiatriques : "C’est l’équilibre permanent, et on est sur la corde raide, il suffit qu’un anesthésiste soit coincé, qui ait un souci et tout bascule…"
Si des salles d’opération restent vides presque chaque jour, c’est que normalement, il doit y avoir 20 anesthésistes à temps plein dans cette unité. Il en manque 8. Le recrutement de ces spécialistes formés à la pédiatrie est très difficile depuis des années. Il faut des compétences supplémentaires pour s’occuper des nouveaux-nés, de jeunes patients aux pathologies lourdes que seul l’hôpital public opère.
" Les problématiques que l’on a avec les enfants sont parfois des problématiques très stressantes. Et c’est pour ça parfois que c’est difficile de trouver des gens motivés qui se passionnent en anesthésie-réanimation pédiatrique parce que les contraintes sont en fait des contraintes majeures. Les enfants ont peu de réserves d’oxygène, sont plus difficiles par exemple pour les équiper, les veines sont parfois très difficiles à trouver. Donc chaque chose que l’on fait chez les enfants est toujours un peu plus difficile" explique le Dr Marco Caruselli Anesthésiste-réanimateur pédiatrique Hôpital de la Timone Enfants / AP-HM.
Le danger des anesthésistes intérimaires
Cette expertise est essentielle pour les chirurgiens. Impossible de s’engager dans une intervention complexe sans un binôme sécurisé avec un anesthésiste pédiatrique. Il n’est pas question de faire appel à des intérimaires sans formation spécifique.
"Le binôme, dans cette chirurgie compliquée, il est absolu. Sinon d’une part, la chirurgie est plus longue et elle est plus à risque. Donc c’est en ça que c’est très difficile parce que si un anesthésiste vient en interim, en remplacement, s’il n’a pas d’expérience de la pédiatrie, qu’il est complètement perdu, il peut même arriver à être dangereux parce qu’il n’a pas l’habitude de la pédiatrie", pour le Pr Jean-Luc Jouve Chirurgien orthopédiste pédiatre, Hôpital de la Timone Enfants / AP-HM.
A Marseille, un véritable cercle vicieux semble s’installer : la pénurie d’anesthésistes dans le service rend plus lourde la charge de travail de ceux qui restent et fait fuir les éventuels candidats. Il faut d’urgence rendre à nouveau attractifs les centres hospitalo-universitaires comme celui-ci. S’ils n’arrivent pas à retenir les jeunes anesthésistes qu’ils forment, il n’y aura bientôt plus personne pour transmettre un savoir qui s’acquiert surtout auprès des patients.