Les entreprises innovantes en santé dénoncent les lourdeurs administratives
De plus en plus d’essais cliniques réalisés par des entreprises françaises sont effectués à l’étranger. En cause : les retards liés aux procédures d’évaluation.
"En Belgique ça fonctionne très bien, donc pourquoi s’embêter à le faire en France !" Vice-Président de France Biotech, une association "d’entrepreneurs français en sciences de la vie", Alexandre Regniault résume ainsi le sentiment général. L’évaluation des essais cliniques dans l’Hexagone est trop longue, alors autant aller voir ailleurs.
Avec trois autres acteurs de l’innovation médicale (Club Phase I, AFCRO, Ditep), France-Biotech a tiré la sonnette d’alarme dans une lettre ouverte à la ministre de la Santé publiée mercredi 13 décembre. Son objet : "Lutter contre la délocalisation des essais cliniques." Le constat interpelle. Dans un communiqué, France-Biotech cite une étude réalisée par le cabinet BCG montrant que "68% des essais cliniques mis en œuvre par les principales Health Tech (1) françaises sont effectués à l'étranger". Un taux qui n’est que de 54% au Royaume-Uni, et bien moindre aux Etats-Unis (11%). "La France est aujourd'hui derrière l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas ou la Belgique en nombre d'essais cliniques", affirme France-Biotech.
Retards dans l’évaluation
Un essai clinique est, selon la définition de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), "une recherche biomédicale organisée et pratiquée sur l’Homme en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales". L’enjeu est de taille : ces études permettent de tester des molécules qui peuvent sauver les vies de patients atteints de maladies graves. Qu’un bon réseau d’entrepreneurs dans le domaine soit implanté dans un pays est vecteur de croissance, mais permet surtout d’améliorer la santé des patients.
Les délocalisations à la pelle ont de quoi inquiéter. D’après la lettre adressée à Agnès Buzyn, la cause serait les "retards dans l’évaluation et donc dans l’autorisation et le démarrage effectif des essais cliniques en France". Alors que le délai légal d’évaluation d’un tel essai se situe, hors cas exceptionnels, entre 45 et 60 jours, il faut souvent attendre "plusieurs mois" pour obtenir une réponse selon Alexandre Regniault. Plus embêtant encore pour les entreprises françaises, certains essais sont refusés dans leur propre pays par précaution alors qu’ils sont autorisés chez nos voisins. Les autorités sanitaires des autres Etats européens ne sont pourtant pas moins regardantes mais elles disposent simplement de plus de moyens pour évaluer dans le détail les risques d’un essai clinique, d’après le vice-président de France Biotech.
Au coeur de la polémique : les Comités de protection des personnes (CPP)
C’est justement ce défaut d’argent et de personnel qui est dénoncé par la lettre ouverte. Il existe selon Alexandre Regniault "un problème persistant de baisse de moyens", à l’ANSM notamment. A la suite d’une alerte en 2016, le nombre d’agents de la cellule dédiée aux essais cliniques de phase I avait doublé, passant de… une à deux personnes. Insuffisant pour assurer une évaluation en temps et en heure.
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La qualité des experts n’est pas pointée du doigt, mais ils sont contraints de travailler bénévolement dans les Comités de protection des personnes (CPP). Ces comités doivent rendre un avis favorable à l’essai, qui sera ensuite autorisé par l’ANSM. La double lecture évite en principe de faire courir de trop grands risques aux patients. Seulement, les CPP sont au cœur de la dégradation des délais de réponses données aux promoteurs (les entreprises). Depuis un décret du 16 novembre 2016, appliquant la Loi Jardé de 2012, un des 39 CCP est tiré au sort pour chaque essai. Une mesure traduisant la méfiance des parlementaires à l’encontre d’éventuels conflits d’intérêts, mais qui "casse" l’expertise qu’avaient pu accumuler certains comités dans des domaines particuliers, déplore le vice-président de France-Biotech.
Depuis un an, les connaissances des experts sont donc remises à zéro à chaque essai, ce qui ralentit d’autant plus la procédure d’évaluation. "Le promoteur va être bombardé de questions", regrette M. Regniault. Une réaction logique, mais inutile selon lui. Sans revenir à l’ancien système, les organisations signataires de la lettre ouverte promeuvent un "tirage au sort intelligent", qui consisterait à choisir un CCP parmi un groupe de comités possédant une expertise dans le domaine concerné par l’essai clinique. Une sorte de compromis qui accélérerait les procédures et qui permettrait de faire revenir les essais dans le giron français.
(1) Entreprises innovantes en matière de santé