« Nous nous sentons maltraitants » : l'alerte d’une infirmière des urgences d'un hôpital marseillais
En grève depuis jeudi soir, le service de nuit des urgences de l’hôpital de la Timone à Marseille est en surchauffe.
Avec ses 5000 m2, c’est l’un des services d’urgences hospitalières les plus importants de France. Mais face à l’afflux de patients ces dernières semaines aux urgences de la Timone à Marseille, le manque de personnel ne s’est jamais autant fait ressentir. Humainement, la situation est devenue intenable. Inquiète pour les patients, une infirmière de nuit témoigne.
- A quoi ressemble le quotidien dans votre service ?
Les urgences sont saturées et le personnel, en sous-effectif, surmené. Avant l’été c’était déjà le cas, mais début juillet, nous avons atteint un point de non retour. Les congés non remplacés aggravent la situation.
Du coup, les patients sont moins bien pris en charge, tout simplement. C’est injuste, ils n’ont rien demandé. La durée d’attente est passée de 4 heures à 6 heures, en moyenne ! Ca a des conséquences. Quand une personne âgée, fragile, reste toute une nuit sur un brancard, ses pathologies chroniques s'aggravent. Nous nous sentons maltraitants. Nous ne pouvons prodiguer aux patients la qualité de soins qu’ils méritent. Nous n’avons le temps de rien. Pas même, parfois, de leur parler. C’est pourtant le minimum ! Nous réalisons l'acte médical dont ils ont besoin, et nous partons dans un autre box parce qu’il faut enchaîner. Or par définition, les patients qui se retrouvent aux urgences sont en détresse. C’est très fragilisant d’arriver ici dans l’attente d’un diagnostic ou de résultats. Prendre soin, c’est aussi réconforter. Il n’y a plus une once d’humanité dans ce métier. Le sens de notre profession est en train de disparaître.
- Alors les équipes soignantes sont aussi en danger ?
A force de courir d'un patient à l'autre, tous les agents sont en burn out… Ce n’est pas humain de travailler 12 heures par jour sans manger, sans boire, sans aller aux toilettes, faute de temps. Nous devrions être 15 infirmières en poste. Nous ne sommes plus que 12, 13 au mieux. Et surtout l’équipe d’aide-soignants a été drastiquement réduite ! Ils étaient 12 et leur nombre oscille aujourd’hui entre 4 et 6. Les infirmiers travaillent donc quasiment seuls. Alors comment voulez-vous prendre en charge dignement les malades quand vous en voyez trente chaque nuit ? C’est de l’abattage.
En plus cette situation génère de l’agressivité de la part des patients et de leurs proches... On est à bout.
- C'est pour ça que avez-vous décidé de faire grève ? C’était le seul moyen d’être entendu ?
Un point de non retour a été atteint. Nous allons au travail la peur au ventre. A chaque vacation, nous craignons de faire une faute professionnelle. De très grandes avancées ont été réalisées ces dernières années sur le droit des patients, la prise en charge hospitalière, mais sur la qualité des soins, nous régressons.
Jusqu’à présent, nous alertions notre encadrement qui envoyait des mails à n’en plus finir à la direction. Ils sont restés sans réponse. Nous avons toujours voulu nous débrouiller en interne, entre nous, mais la méthode douce n’a pas fonctionné...
C'est pour cela que nous en sommes arrivés là. La grève était notre ultime recours, même si on sait qu'elle est symbolique. Dans le milieu hospitalier, le personnel gréviste peut être réquisitionné pour assurer les soins. Quoi qu’il arrive, nous n'abandonnerons pas nos patients. Mais nous souhaitions mettre en avant ce que jusqu’à présent, nous nous efforcions de cacher… Aujourd’hui cette réalité, il faut en parler.
- Qu’espérez-vous obtenir ?
Nous ne demandons pas d’argent. Simplement des moyens humains pour travailler dans de bonnes conditions. Qu’il revienne à l’hôpital avec l’envie de travailler. Grâce à cette grève, la direction nous a entendu. Elle a même été réactive puisqu’en une heure, elle a débloqué des fonds pour embaucher une intérimaire et deux aides-soignantes en heures supplémentaires. C’est une très belle avancée car jusqu’à présent, nous n’avions pas droit aux intérimaires. Leur coût était trop élevé. Mais ces moyens supplémentaires ne valent aujourd’hui que pour le mois d’août. Ce n’est pas suffisant.
Nous demandons un accord écrit où la direction s’engage à ce que tous les postes non remplacés soient pourvus, et ce quel que soit le jour de l’année. Nous travaillons dans ces conditions de travail difficiles 365 jours par an. Là ,ce sont les vacances, après ce sera la rentrée, l’épidémie de grippe, puis de gastroentérite… Quelle que soit la raison, les patients continuent d’affluer et les urgences de saturer.