Syndrome méditerranéen : ce "diagnostic" sur fond de discrimination
La récente affaire liée au décès de Yolande Gabriel, une Martiniquaise de 65 ans, relance la question des préjugés racistes dans le monde médical. On vous explique ce que l’on appelle le syndrome méditerranéen.
Le 21 août 2020, Yolande Gabriel, Martiniquaise de 65 ans, perdait la vie, plus d’une heure après avoir contacté le Samu. Pour ses filles, cet appel au 15 n’a pas été pris au sérieux. Pourtant, lors des échanges téléphoniques, Yolande Gabriel explique qu'elle n'arrive plus à respirer et que son état est en train de se dégrader.
Ses filles ont décidé de porter plainte contre X pour "omission de porter secours" et "homicide involontaire". Elles dénoncent des préjugés racistes. Une information judiciaire va être ouverte, en recherche des causes de la mort.
Cette histoire rappelle celle de Naomi Musenga, morte à 22 ans. En 2017, la jeune femme d'origine congolaise contactait le Samu de Strasbourg pour de violentes douleurs au ventre. Les enregistrements laissaient entendre des moqueries de la part des opératrices. Cinq heures après son appel à l'aide, Naomi Musenga est décédée.
Sur les réseaux sociaux, certain⸱es évoquent le syndrome méditerranéen dont elles auraient été victimes du fait de leurs origines.
Yolande Gabriel, 65 ans, est décédée après avoir attendu les secours plus d’1h. Pendant son appel au 15, elle a été méprisée et ses souffrances ont été minimisées. Sa fille s’interroge sur d’éventuels préjugés racistes.
— David Perrotin (@davidperrotin) May 31, 2022
Enquête vidéo avec @p_pascariello pic.twitter.com/BsFU1SLCMk
Syndrome méditerranéen : de quoi s'agit-il ?
Myriam Dergham a longuement étudié le sujet. Cette interne en médecine générale à la Faculté de Médecine Jacques Lisfranc a publié un article scientifique après deux ans d'enquête. "Ça, c'est un syndrome méditerranéen". Cette phrase, annoncée comme un diagnostic, Myriam Dergham y a très vite été confrontée. "Les professionnels de santé le disent de la même manière qu’ils disent « ça, c’est une prothèse de la hanche »”, explique-t-elle.
Ce pseudo-diagnostic est établi à partir des préjugés liés aux origines du patient. Autrement dit, certain⸱es soignant⸱es considèrent que les personnes d'origine maghrébine, noires ou d'autres minorités exagèrent leurs symptômes et leurs douleurs. Il en résulte une mauvaise prise en charge avec, parfois, des conséquences dramatiques.
Un stéréotype tenace. "C’est d’une banalité affligeante. S’il perdure autant, c’est parce qu’il n’est pas remis en cause”, déplore Myriam Dergham. "Il commence même à toucher les personnes provenant des pays de l’Est qui sont considérés comme des patients « indésirables »".
Cette discrimination s'inscrit "dans un contexte de souffrance hospitalière inouïe", tient à préciser la chercheuse.
Des fausses croyances
Ces idées reçues seraient répandues et considérées comme des vérités intégrées très tôt par les étudiant⸱es en médecine. “Quand un chef parle de syndrome méditerranéen, on ne le remet pas en cause”.
C’est en discutant avec d’autres étudiant⸱es que Myriam Dergham s’est interrogée, car ces préjugés ont des conséquences sur la prise en charge des patient⸱es concerné⸱es. “Et même quand elle n’est pas intentionnelle, la différence de traitement existe. Parfois, certains collègues pensent être bienveillants, et ont tout simplement intégré ce qu’on leur a appris”, analyse la jeune interne en médecine.
Alors Myriam Dergham a décidé d'en faire son combat. Elle parcourt toute la France pour attirer l'attention des futur⸱es soignant⸱es sur le syndrome méditerranéen.
Former pour une meilleure prise en charge
La Pre Marie Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison de Solenn (AP-HP), connaît, elle aussi, bien le sujet. Cette spécialiste en psychiatrie transculturelle se dit “particulièrement horrifiée par ces préjugés". Elle forme des médecins et des psychologues à une prise en charge respectueuse tout en prenant en compte les différences culturelles de chaque patient⸱e.
Depuis plus de 20 ans, Marie-Rose Moro espère éveiller les professionnel⸱les,
à l’aide de jeux de rôles mais aussi de théorie. “Il est inacceptable qu’aujourd’hui, dans un monde métissé, plein d’échanges, on soit dans les préjugés et les fausses représentations”. Pour elle, il faut faire preuve de discernement.
À ce jour, il n'existe pas de chiffres officiels sur les patient⸱es victimes du syndrome méditerranéen. Myriam Dergham déplore que "cela arrive peut-être plein de fois sans qu'on ne le sache".