L’additif E171 ne sera pas retiré du marché
Alors que depuis deux ans, la dangerosité de l’additif E171 est discutée par les scientifiques, Bruno Le Maire a affirmé qu’il ne serait pas retiré du marché dans l’immédiat.
Blanchir ou opacifier les aliments : c'est l'action de l’additif E171 qui est aujourd'hui largement utilisé. Pourtant, une équipe de chercheurs de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) a montré en 2017 qu’il favorise la croissance de lésions précancéreuses chez les rongeurs. Alors que plusieurs associations réitéraient en décembre la demande de retrait du marché, le ministre de l’économie Bruno Le Maire a affirmé, dans l’émission ”C à vous”, qu’aucune interdiction ne serait faite dans l’immédiat, car ” des évaluations différentes ” de sa dangerosité ont été faites. Une décision qui vient s’ajouter aux multiples rebondissements à propos de l’utilisation de cet additif. Pour le chercheur qui a mis en évidence la potentielle dangerosité, un grand plan de recherche sur le sujet est nécessaire.
De nombreux rebondissements
En janvier 2017, l’équipe d'Eric Houdeau, à l’INRA Toulouse, publie dans Scientific Reports une étude sur cet additif. Il aura fallu 4 ans au laboratoire pour produire des résultats significatifs. L'étude met en évidence son effet initiateur et promoteur des stades précoces de la cancérogénèse colorectale chez les rongeurs. Eric Houdeau, Directeur de recherche au centre Toxalim, centre de recherche en toxicologie alimentaire à l’INRA de Toulouse, qui a dirigé les recherches, rappelle cependant que son équipe a uniquement donné la preuve que ”des nanoparticules sont absorbées par la paroi, et donc qu’elles sont présentes dans l’organisme. Cela s’associe ensuite à un défaut du système immunitaire, puis à des lésions précancéreuses. Mais c’est un modèle animal, nous ne pouvons pas encore conclure pour l’Homme. De même, nous ne parlons pas de tumeurs, mais de stade précoce de la maladie, qui n’évoluera pas forcément en cancer”. Mais ces recherches montrent bien que la substance n’est ”pas inerte pour l’organisme”. Il faut donc que les recherches aillent jusqu’au stade de développement de la tumeur, mais ”regarder l’impact sur les stades précoces est extrêmement important” pour comprendre le processus.
En mai 2018, la secrétaire d’Etat à la Transition écologique, Brune Poirson, annonce la volonté du gouvernement de suspendre ”d’ici la fin de l’année” l’utilisation dans tous les produits alimentaires de l'additif. Pour l’occasion, elle fait le déplacement dans l’usine d’un confiseur à Tourcoing (Nord). Le mois suivant, les confiseurs s’engagent à le bannir de leurs bonbons avant fin 2019. La suspension de l’additif est votée par les parlementaires.
6 mois plus tard, en décembre, des associations publient une tribune dans Le Monde : ils demandent au ministère de l’Economie la suspension de l’additif. ”Rien ne se passe […] Bercy refuse de rédiger cet arrêté, au motif qu’il n'y aurait pas de danger suffisamment +grave ou immédiat+ pour activer la clause de sauvegarde au niveau européen”, écrivent les nombreuses associations, dont la Ligue contre le cancer, Greenpace, Foodwatch, ou encore l’Alliance pour la santé et l’environnement, qui rassemble elle-même plusieurs dizaines d’ONG et instituts de recherche européens.
L’E171, c’est quoi ?
L’E171, ou dioxyde de titane, est un additif utilisé dans l’alimentation, pour les cosmétiques et les médicaments. Confiseries, plats cuisinés, pâtisseries industrielles, crèmes glacées mais aussi dentifrice, maquillage, crèmes solaires, vaccins, et quelques 4 000 médicaments : il est couramment utilisé. Comme tous les additifs, il n’a pas de valeur nutritionnelle, son usage étant donc optionnel.
Si l’utilisation de ce dioxyde de titane (TiO2) est controversée, c’est qu’il est en partie composé de nanoparticules, dont les effets sanitaires sont méconnus. Celles-ci mesurent moins de 100 nanomètres, soit 10 000 fois plus petites qu’un cheveu. Cependant, selon l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments), il n’est pas considéré comme un nanomatériau. En effet, cette appellation impose un minimum de 50% de particules de dimensions comprises entre 1 et 100 nm, alors qu’elle ne dépasse pas 45% dans l’E171. Chiffre qui, selon certaines ONG, sous-évalue le taux réel. De manière générale, les nanoparticules, du fait de leur minuscule taille, sont plus susceptibles de traverser certaines parois. ”On commence à peine à faire des recherches sur les nanoparticules”, rappelle le chercheur de l’Inra. ”Maintenant que nous avons identifié la question qui se pose [sur les nanoparticules], on sait où chercher, ça ira plus vite”.
La nécessité d'un ”plan de recherche de grande envergure”
Le ministre de l’économie assure que ”dans le doute, c’est aux industriels de s’abstenir” car ”la cohérence, c’est d’avoir une évaluation qui soit partagée sur les dangers du dioxyde de titane”. De nouvelles évaluations sont donc en cours par l’Efsa et l’Anses et devraient être terminées dès la rentrée 2019. Les associations mettent en avant, en plus des suspicions d’effets indésirables de l’additif, son caractère optionnel dans l’alimentation.
Eric Houdeau insiste sur le fait que les chercheurs ”apportent des données scientifiques précises, mais ne font pas d’évaluation. Il faut maintenant aller plus loin, multiplier des données. Un laboratoire hollandais a poussé l’étude jusqu’à l’apparition de tumeurs. Selon leurs travaux, le E171 augmente bien l’occurrence de cancers”. Ces études sont selon lui un ”faisceau d’indices”, qui montre la nécessité d’études plus poussées, auxquelles appellent les autorités sanitaires. Au printemps 2018, le HSCP (Haut Conseil de la santé publique) souligne que des travaux allemands menés l’année précédente confirment le résultat de traversée de la barrière intestinale par l’INRA. ”Il faut maintenant mener des tests de sécurité adaptés, et donner les moyens aux chercheurs de mettre en place un grand plan de recherche, de plus grande envergure. Ce n’est pas encore prévu”.