Du sang frais pour rajeunir ?
Transfuser le sang d'un individu jeune à un homme plus âgé pour le fortifier, voire le faire rajeunir... Au fil des siècles, cette promesse faite par la sorcière Médée dans les Métamorphoses d'Ovide n'a jamais cessé d'inspirer ceux qui craignent de fléchir sous le poids des ans. Bien loin de la magie noire, des chercheurs ont identifié ces dernières années plusieurs protéines sanguines dont la quantité diminue avec l'âge... et leur effet sur l'organisme. Des travaux publiés début mai suggèrent que l'apport de sang frais pourrait, dans une certaine mesure, diminuer l'emprise du temps...
Du mythe...
Dans les Métamorphoses d'Ovide, la sorcière Médée joue de cette croyance pour amener au meurtre du roi Pélias :
"Videz le sang du vieillard, afin que je remplisse ses veines d'un sang de jeune homme !
"C'est dans vos mains que sont la vie et le rajeunissement de votre père :
"Si vous l'aimez, […] délivrez-le de sa vieillesse, et, en jetant sur lui ensemble vos épées,
"Faites jaillir hors de son corps son sang corrompu !"
C'est dire que, selon le poète, une telle initiative est particulièrement périlleuse. Selon les théories antiques, le sang est produit par le foie et le cœur, et à pour principale fonction d'entretenir la vigueur et la jovialité d'un individu (théorie des quatre humeurs). L'idée qu'un apport du sang d'un homme fringuant peut aider à retrouver le tonus de la jeunesse s'ancre rapidement dans l'imaginaire, mais les moyens techniques pour passer de la théorie à la pratique manquent…
La source de vie
En 1615, le médecin allemand Andreas Libavius expose dans son ouvrage Examen philosophiae novae ce qui est souvent considéré comme le premier protocole de transfusion sanguine de l'Histoire. L'objectif avoué est bien de régénérer les fonctions vitales du bénéficiaire :
"Que l'on prenne un robuste jeune homme, en bonne santé et plein de sang vigoureux ;
"Que l'on tienne auprès de lui un autre, épuisé de toutes ses forces, maigre, décharné et à la respiration haletante ;
"Que l'homme de l'art ait des tuyaux d'argent s'adaptant les uns aux autres ;
"Qu'il ouvre une artère du sujet robuste, y insère un tuyau et l'y maintienne ;
"Qu'il ouvre immédiatement une artère du malade et y insère l'autre tuyau ;
"Ensuite qu'il ajuste les deux tuyaux ensemble et qu'il laisse le sang du sujet en bonne santé s'élancer, chaud et vigoureux dans le malade, apporter la source de vie et chasser toute faiblesse."
Mais les expériences de transfusion qui pourront être menées dans les siècles suivants échouent inexorablement, le sang d'un individu n'étant pas nécessairement compatible avec celui d'un autre… En 1785, le médecin Antoine François Fourcroy, dans l'Art de connaître les médicaments, juge cette idée "ridicule", observant que "les dangers terribles qui en furent suivis la firent heureusement bientôt proscrire"(1)...
...au laboratoire
Il faudra attendre le milieu du XXème siècle pour que l'idée soit de nouveau examinée par des chercheurs – ouvertement motivés par l'espoir de trouver dans le sang un élixir de jouvence. Leurs expériences bénéficient des très nombreux progrès de la chirurgie et de la compréhension des réactions de rejet des corps étrangers. En 1950, le docteur Clive McCay réunit le système circulatoire de couples de rats d'âges différents, et observe la réaction de leur organisme à ce traitement. A l'autopsie, il constate que le cartilage des rats âgés s'était régénéré (ou paraissait, tout au moins, plus jeune que celui de rats du même âge).
Au début des années 2000, l'expérience de McCay fut reproduite par une équipe de chercheurs dirigée par le docteur Thomas Rando. Avec les moyens d'analyse modernes, les scientifiques ont pu déterminer que les muscles des souris âgées bénéficiant de l'apport sanguin des jeunes se régénéraient à la vitesse attendue chez un jeune. A l'inverse, les souris jeunes recevant le sang âgé ont présenté des signes de vieillissement accéléré...
Des neurones, des cellules cardiaques et des vaisseaux sanguins
Fin août 2011, des chercheurs de l'Université de Stanford rapportaient dans la revue Nature que l'apport de sang de jeune souris dans l'organisme de souris âgées augmentait le nombre de nouvelles cellules dans leur cerveau, au niveau de l'hippocampe. Une augmentation des performances de ces animaux à des exercices de mémorisation a égalemment été décrite. La diminution du taux de certaines protéines (les chimiokines) dans le plasma sanguin des souris âgées et l'apport de facteurs de croissance présents dans celui des jeunes étaient décrits comme la cause probable du phénomène.
Les mêmes chercheurs ont, par la suite, cherché à étudier les effets d'une injection répétée (huit injections en cinq semaines) de plasma sanguin jeune chez des animaux âgés. Selon le compte-rendu de leurs travaux, publié dans Nature Medicine début mai 2014, les bénéfices constatés sont similaires à ceux obtenus avec le protocole précédent.
Mais les cellules cérébrales ne seraient pas les seules à pouvoir tirer profit d'un apport de sang frais... Des expériences (publiées en 2013 dans la revue Cell) par des membres de l'équipe de Thomas Rando, ont démontré qu'une protéine présente en grande quantité dans le sang des souris jeunes avait un effet très net sur le rajeunissement du muscle cardiaque de souris âgées qui recevaient une supplémentation intraveineuse.
Stimulation des cellules souches
Selon des neuroscientifiques de Harvard, qui viennent de publier leurs recherches dans la dernière édition de la revue Science, l'injection de cette protéine permet la croissance de nouveaux vaisseaux sanguins dans le cerveau de souris. Incidemment, la protéine apparait avoir initié la production de nouveaux neurones dans la région du cerveau dévolue à l'olfaction. Ces travaux démontrent que la fameuse protéine sanguine stimule de nombreuses cellules souches responsables de la régénération de nos cellules. Une conclusion soutenue par un troisième article, égalemment publié dans le dernier numéro de Science, dans lequel les auteurs de l'article de 2013 confirment ce mécanisme pour les cellules du muscle cardiaque.
A-t-on mis la main sur l'élixir de jouvence ? Probablement pas. Interrogée par le New York Times, l'un des chercheurs ayant participé à la reproduction de l'expérience de McCay en 2005 souligne que stimuler artificiellement les cellules souches par l'apport de facteurs sanguins est une opération risquée. "Il est tout à fait probable que cela augmente le risque de survenue de cancer", alerte-t-elle. "Il faut être prudent et modérer son enthousiasme sur ces découvertes..."
Dracula doit s'en mordre les doigts.
(1) Quelques années plus tard, les citoyens Parmentier et Déyeux, dans leur Mémoire sur le sang, qualifient eux aussi de "folle" et de "ridicule" cette idée "de rajeunir les vieillards, de ranimer les corps débile et d'opérer des guérisons merveilleuses en introduisant dans les veines le sang d'un animal sain, jeune et vigoureux ; on alla même jusqu'à croire que par cette intromission mécanique, on changeait les caractères vicieux ; […] on vit même dans la transfusion l'assurance de l'immortalité, comme si la caducité et les autres infirmités humaines étaient attachées exclusivement à la qualité du sang."
Sources :
- Young blood reverses age-related impairments in cognitive function and synaptic plasticity in mice. S. Villeda et coll. Nature Medicine, 2014 doi:10.1038/nm.3569
- Restoring systemic GDF11 levels reverses age-related dysfunction in mouse skeletal muscle. M. Sinha et coll. Science, 2014. doi:10.1126/science.1251152
- Vascular and neurogenic rejuvenation of the aging mouse brain by young systemic factors. L. Katsimpardi et coll. Science, 2014. doi: 10.1126/science.1251141
Pour en savoir plus
Sur Allodocteurs.fr :
Ailleurs sur Internet :