Les chibanis ou travailleurs immigrés, les oubliés de la santé
Ils sont arrivés d'Algérie entre 1951 et 1971, seuls, pour travailler en France, et prévoyaient un jour de repartir au pays. Les années se sont écoulées et aujourd'hui retraités, leurs conditions de vie ainsi que leur santé sont précaires voire indignes.
Chibani signifie "cheveux blancs" en arabe. Si vous entendez parler des chibanis de France, c'est qu'il est fait référence aux immigrés d'Afrique du Nord et subsaharienne. Ces hommes sont arrivés en France durant les 30 Glorieuses donc entre 1945 et 1975 pour occuper des postes d’ouvriers de chantier, de travailleurs à la chaîne.
Diabète, hypertension... et une grande solitude
Le retour fantasmé est devenu un "impossible rêve" pour deux raisons principales : l'une administrative, quand ils perçoivent une maigre retraite, l'autre symbolique, parce qu'ils ont vécu plus longtemps ici que là-bas. Après l'exil et le déracinement, c'est la solitude qui berce les derniers jours de ces oubliés.
Ils ont eu des postes difficiles qui ont abîmé leur santé. Beaucoup ont du diabète, de l'hypertension sans compter les corps usés par le travail.
C’est le cas de Tahar Rahal qui vit seul à Marseille dans un foyer et c'est aussi le cas de beaucoup de chibanis. Tahar Rahal a quitté son Algérie natale en 1963, à l’âge de 24 ans, pour travailler comme maçon. Il a sillonné toute la France passant d’un chantier à l’autre.
Aujourd’hui, il a 82 ans et cette solitude lui pèse encore plus en temps de COVID parce qu’il ne peut pas retourner en Algérie.
"Je vis seul ici, explique t-il, je n’ai pas de frère, j’ai pas de cousin, je n’ai même pas un ami de chez moi, du pays. Et maintenant, on est vieux et périmé. J’ai le diabète depuis 1990, j’ai asthme, bronchite, rhumatisme, je suis périmé !"
Recours tardif aux soins
Les chibanis sont loin de leur famille restée au pays, ils ont des problèmes de santé liés à leur âge et à la pénibilité de leur travail. "Banlieues Santé" est une association qui leur vient en aide.
Yassine Ennomany, avec les membres de l’association, ont décidé de tendre une main aux chibanis. Ils les aident à sortir de l’isolement mais aussi pour les accompagner dans leur parcours de soin. L’association a créé un projet qui s’appelle les Biens Ainés.
"Ils ont constaté des patients qui avaient un recours tardif aux soins, explique Yassine Ennomany, c’est-à-dire qu’ils allaient beaucoup trop tardivement pour un problème de santé. Ils ont aussi une mauvaise compréhension de ce qui est la prévention.
Dans les entretiens qu’on propose, on leur dit on vous propose un temps de causerie allez-y monsieur posez-nous n’importe quelle question sur la santé. C’est là qu’ils vous disent, je ne sais pas ce qu’est exactement que la tension, je ne sais pas ce qu’est le cancer ou quand vous parlez de prévention, pour moi, c’est prévenir la maladie que tu as, c’est provoquer l’arrivée du destin".
Une permanence médicale dans les foyers
Banlieues Santé parvient à leur parler de leur état de santé sans que ce soit trop anxiogène pour eux. Il y a tous les lundis une permanence médicale qui se tient au sein du foyer des chibanis. L’idée n’est pas de pointer d'emblée la dégradation de leur état de santé, ni de leur faire peur avec des termes trop médicaux.
C’est avant tout un temps d’échange entre Djouma l’infirmière et les résidents du foyer comme Lakhdar, qui a 73 ans et qui est originaire d’Oran en Algérie. Lui aussi est venu en France pour travailler et comme Tahar il était maçon.
Dans le foyer de Marseille, une médiatrice en santé est présente pour assurer toute la coordination des soins. C’est-à-dire que n’importe quel chibani qui vit au foyer peut obtenir de l’aide. Tout ce travail est rendu possible grâce au bailleur social du foyer qui s’est donné les moyens de collaborer avec l’association Banlieues Santé. C’est une action coordonnée.
Des séances de sport
Banlieues Santé collabore avec une association locale qui s’appelle Marseille Santé Diabète. Une fois par semaine, la coach sportive Soukaina propose de l’activité physique adaptée. Le cours dure une heure, les chibanis veulent 2 à 3 séances par semaine.
L’action de Banlieues Santé leur fait du bien et permet de sortir de l’isolement ces hommes qui ont toujours vécu entre deux rives. C’est encore plus dur pour cette population en ce moment à cause de la crise du Covid. Ils n’ont pas vu leur famille, restée au bled, au pays, depuis plus d’un an. Ils craignent de mourir seul en France et des initiatives comme celles de "Banlieues Santé" atténuent un peu leur souffrance.