Interdiction d'un insecticide : pénurie de cerises en vue ?
La France a confirmé ce 15 avril l’interdiction du diméthoate, insecticide utilisé sur les cerisiers. Dès la semaine prochaine, il sera interdit d'importer sur le territoire des fruits traités par ce produit phytosanitaire dont la dangerosité est mal évaluée en ce qui concerne l’homme.
L'usage de l’insecticide diméthoate est interdit en France depuis février 2016. Les arboriculteurs du sud de l'Hexagone ont manifesté leur inquiétude face à une perte importante de production : ils assurent en effet ne disposer d'aucune alternative pour protéger leurs fruits contre les attaques d'un moucheron particulièrement agressif, la Drosophila Suzukii.
Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll déclenchera par ailleurs dès le début de la semaine prochaine une procédure rare, la clause de sauvegarde, pour suspendre les importations de toutes cerises traitées par le diméthoate.
Il s’agit d’une part de protéger les consommateurs, mais aussi d’éviter de créer une situation de distorsion de concurrence défavorable aux producteurs français.
Stéphane Le Foll a prévenu qu’aucune dérogation ne serait délivrée.
Des données de sécurité introuvables
Le ministère affirme que l’Italie et l'Espagne sont solidaires de cette démarche. Avec la France, ces pays sont à ce jour les seuls de l'Union européenne à interdire l'usage du dernier produit disponible à base de diméthoate.
Fin mars, Stéphane Le Foll avait saisi la Commission européenne, plaidant pour un retrait général du diméthoate au sein de l'Union. Le ministre avait ordonné fin février le retrait du dernier produit concerné, sur avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Cette autorité sanitaire avait dénoncé "l'absence de données" concernant les effets du diméthoate sur la santé des consommateurs.
Face à cette demande, la Commission a saisi l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui avait également conclu à "l'absence de données" sur ce sujet.
Deux sources de préoccupations
Le ministère de l'Agriculture met en avant deux éléments préoccupants à propos de cet insecticide : d'une part les doses homologuées par l'UE sont "trop proches des doses toxiques", d'autre part, "dans toute l'UE y compris en France, on observe régulièrement des dépassements des limites maximales de résidus" (les "LMR" qui mesurent la concentration de produit subsistant dans le fruit).
Par ailleurs, les autorités sanitaires françaises et européennes se sont heurtées plusieurs fois au refus de la société danoise Cheminova, productrice de l'insecticide, de leur transmettre les données sur leur produit.
Quelle alternative au diméthoate ?
"On regretterait de ne pas voir des cerises françaises arriver sur les étals", s'inquiète le président de l'interprofession des fruits et légumes Bruno Dupont, qui remarque que "la dangerosité [du diméthoate] n'est pas connue d'hier".
Les producteurs de cerises seront reçus le 19 avril au ministère pour évoquer des "mesures concrètes de protection" alternatives.
Mais pour Xavier Beulin, président du premier syndical agricole, la FNSEA, "il n'y a pas d'alternative crédible" : l'installation de filets au-dessus des vergers, par exemple, "supposerait de reconfigurer tous les vergers français".
Par ailleurs, avance-t-il, "si la France s'oppose à toute importation, on risque une amende lourde pour entrave à la libre circulation des marchandises".
"Il y a avait urgence, la campagne commence dans quinze jours", justifiait le 15 avril au soir le ministère.
Certains oléiculteurs du Sud de la France ont également manifesté leur inquiétude, car ils ont recours au diméthoate contre Bactrocera oleae, la "mouche de l'olive" qui attaque le fruit déjà formé. Mais les traitements commencent plus tard, en juillet.
La Confédération paysanne a pour sa part salué des "décisions courageuses", et notamment le recours à la clause de sauvegarde, estimant que cela "devrait permettre un sursaut des prix qui pourra atténuer les conséquences des pertes de rendements dus aux dégâts" du moucheron. Elle a appelé par ailleurs à des "mesures de soutien" à tous les producteurs de cerises.
Le dernier recours à une clause de sauvegarde par la France remonte à 2012 et visait l'insecticide Cruiser®, jugé dangereux pour les abeilles.