Apprivoiser ses peurs
La peur est un mécanisme naturel de défense et de protection qui existe dès l'enfance. La peur est très utile, elle est une sorte de signal d'alarme contre le danger. Mais comment fonctionne-t-elle et comment l'apprivoiser pour mieux vivre avec ?
Une lumière qui se tamise peu à peu, une pénombre qui s'installe, des formes inquiétantes qui apparaissent... Vient alors un sentiment étrange qui nous envahit. Un coeur qui bat plus vite, des muscles qui se paralysent, une sueur froide mêlée d'effroi... C'est la peur. Derrière les mythes, les histoires, les films d'horreur, se cache en fait un phénomène physiologique inné, commun à tous les êtres humains.
Le mécanisme de la peur
Avec la colère, la surprise, le dégoût, la tristesse, la joie, la peur fait partie des émotions primaires, que nous exprimons sans aucun apprentissage. Tout démarre par un stimulus sensoriel, en l'occurrence visuel. Par exemple, vous croyez apercevoir un serpent. Le centre de la vision le capte puis l'information arrive dans le thalamus, une partie du cerveau qui trie les informations. Elle poursuit son chemin dans le système limbique, le siège de nos émotions, et plus précisément aux amygdales cérébrales.
Les amygdales vont statuer sur cette menace et demander si besoin à l'hypothalamus, d'activer notre système d'alerte. Le cerveau déclenche alors une réaction en chaîne. Les glandes surrénales vont disséminer de l'adrénaline dans tous les organes du corps. Cette hormone va augmenter le débit sanguin, le rythme cardiaque et la respiration s'accélèrent, les vaisseaux sanguins se contractent, les muscles sont mobilisés. Tout notre corps est en éveil pour faire face à la menace.
Mais cet état n'est pas pour autant permanent. En parallèle de l'amygdale, l'information va aussi être analysée par le cortex préfrontal, le siège de la raison. Le circuit est plus lent, mais ce cortex va analyser la situation et comprendre que le serpent n'était en fait qu'un bâton en bois. Le corps peut alors se calmer, toutes les fonctions d'alerte reviennent à la normale.
Cet ensemble de réactions permet de faire face au danger. Mais il peut aussi s'avérer très handicapant en cas d'événement traumatique ou de peur phobique.
La peur du vide
Certains sont accros aux sensations fortes et ont besoin de cette adrénaline dans leur quotidien. Certains métiers procurent des sensations fortes. Nettoyer les vitres d'une tour, restaurer un clocher ou participer à la construction d'un viaduc... suspendu à plusieurs dizaines de mètres de hauteur entraîne une belle montée d'adrénaline. Mais pour certains, la peur du vide est très paralysante. On parle alors de phobie.
Si la peur est un moyen de survie, elle peut également nous échapper. Les anxieux pathologiques maintiennent alors leur amygdale dans une sorte de suractivité permanente. La peur n'est plus maîtrisée et quand elle devient irrationnelle et incontrôlable, on parle de "phobie". Ces phobies conduisent à un "évitement" : tout est mis en oeuvre pour éviter l'objet de la peur.
Entre 5 et 25% de la population serait concernée par une phobie. Des phobies du vide, des araignées ou encore de la foule... qui se traduisent parfois par des crises de panique incontrôlables.
Films d'horreur : le plaisir d'avoir peur
En cas de phobie, le mécanisme qui déclenche la peur est amplifié. Noyés par une répétition d'alertes, les centres nerveux n'arrivent plus à analyser les messages reçus et c'est la panique.
La peur est nécessaire au développement de l'enfant, elle lui permet de dompter son angoisse. Mais attention tout de même, la peur reste avant tout une question de sensibilité individuelle. Nous ne sommes pas tous égaux face à elle, il faut donc accompagner ses enfants dans la gestion de leur peur. N'hésitez pas à leur lire des histoires de loup-garou s'ils vous le demandent. En revanche pas question de les laisser seuls devant un film d'horreur.
Les adultes, eux, sont nombreux à aimer les sensations fortes. Certaines personnes se sont habituées à des choses véritablement terrifiantes et à dompter la peur qu'elles provoquent chez le commun des mortels. C'est ce que l'on appelle le phénomène d'habituation. Une méthode utilisée pour traiter les personnes phobiques.
Cette méthode fait partie de la thérapie comportementale, très souvent proposée pour prendre en charge les peurs irraisonnées comme la phobie.
Recherche : percer les mystères de la peur
Pour tenter de mieux comprendre la peur qui nous paralyse, des chercheurs étudient depuis des années le phénomène chez la souris pour en percer les mystères et pouvoir peut-être un jour, nous libérer de la peur panique.
Dans la nature, la souris a peur lorsqu'un danger se présente. Mais en laboratoire, les chercheurs doivent élaborer un protocole de conditionnement. "Pour conditionner une souris, on associe un son à un choc électrique léger", explique Julien Courtin, docteur en neurosciences, "et l'animal va associer ce son et ce choc électrique et apprendre cette association".
La souris est ensuite placée dans un autre contexte pour brouiller ses repères. Lorsque le son lui est à nouveau présenté, la réaction est immédiate : la souris se fige. "La présentation du son induit de la peur alors que l'on n'a pas présenté le choc électrique au cours de ce test comportemental", observe Julien Courtin. Cette réaction est appelée freezing, c'est cette réaction que les chercheurs étudient. Pour cela, ils implantent des électrodes à l'intérieur du cerveau pour enregistrer son activité.
"Cette technique permet de séparer les différents types de neurones dans le cerveau. On peut donc enregistrer en temps réel l'activité des neurones et corréler ces modifications de l'activité avec le comportement de l'animal", confie Cyril Herry, docteur en neurosciences. Les différents neurones sont ainsi représentés sur ordinateur.
Cette technologie a permis de mettre en évidence des neurones bien utiles dans le contrôle de la peur. L'amygdale, le siège des émotions, est une des deux parties du cerveau impliquée dans la gestion de la peur. Les chercheurs ont découvert deux familles de neurones à l'intérieur de cette amygdale. Les premiers, les neurones excitateurs, lorsqu'ils sont activés, entraînent l'immobilisation de la souris. Les seconds, les neurones d'extinction, permettent au contraire à l'animal de contrôler cette réaction.
La souris apprivoise sa peur comme lors d'une thérapie comportementale. Mais ce n'est pas là, la seule découverte des chercheurs. Dans le cortex préfrontal, la partie du cerveau qui contrôle notre comportement, il existe une forme de neurones bien spécifiques qui expriment la parvalbumine. Lorsque ces neurones sont inhibés, la souris s'immobilise. "Ces interneurones parvalbuminergiques sont inhibés lorsque l'animal a peur. Et si on arrive de façon artificielle à empêcher cette inhibition de ces interneurones, on réduit la peur conditionnée chez l'animal", explique Cyril Herry.
Mais comment obtenir cette stimulation artificielle ? La réponse se trouve dans l'optogénétique, une technique qui permet de stimuler ou d'inhiber certaines régions du cerveau que les chercheurs ont rendu sensibles à la lumière. En l'état, cette technique ne peut être adaptée à l'homme mais elle offre l'espoir de pouvoir un jour trouver des traitements qui activent ces neurones spécifiques et permettre ainsi de soulager des patients atteints de phobie ou de choc post-traumatique. Et lorsqu'on sait à quel point la peur peut être handicapante pour ces personnes, on comprend mieux l'importance de ces recherches.