Cancer du sein : ne jetez pas votre déo anti-transpirant !
Des chercheurs suisses auraient identifié un lien entre l’utilisation de déodorants avec sels d’aluminium et le risque de cancer du sein… Mais de leurs expériences sur la souris à un danger sur l’homme, il y a un gouffre immense… que quinze années d’études scientifiques appellent à ne pas franchir ! Explications.
Un résultat impossible à extrapoler à l'homme
Sans prendre beaucoup de précautions, de nombreux journaux se sont fait l’écho d’une étude publiée début septembre dans l’International Journal of Cancer, portant sur le comportement cancéreux de cellules… cultivées durant quatre à six mois en laboratoire en présence de sels d’aluminium, puis injectées dans le corps de souris. Les résultats paraissent impressionnants, des tumeurs étant rapidement apparues dans l'organisme des rongeurs.
Mais l'expérience proposée n'a pas grand chose à voir avec le fait de s'appliquer du déodorant sur les aisselles. De cette seule étude en laboratoire, impossible de conclure que les cosmétiques incorporant ces sels ont le moindre effet cancérigène sur l’homme. Les auteurs de ces travaux invitent pourtant à recourir au principe de précaution…
Quinze ans d'études, et aucun lien entre sels d'aluminum et cancer du sein
L’hypothèse d’un lien entre l’utilisation du déodorant et du cancer du sein a émergé au début des années 2000, des chercheurs observant que beaucoup de tumeurs du sein se développent dans la zone dirigée vers l’aisselle. Rapidement, des études ont été menées – avec plus ou moins de rigueur scientifique – pour identifier si l’usage de certains cosmétiques pouvait expliquer ce phénomène.
Or, le paysage épidémiologique dépeint par les travaux les plus solides ne suggère absolument pas l’existence d’un "effet déo". Comme le notaient en 2008 une équipe de cancérologues français [1], le cas des États-Unis est parfaitement éloquent : en 50 ans, alors que les ventes de déo ont été multipliées par 10, le nombre de cancers n’a pas du tout suivi cette progression – pas même dans les populations jeunes.
Dans le même ordre d’idée, en 2002, une étude comparant rétrospectivement 1600 femmes avec ou sans cancer n’a pas décelé le moindre lien statistique entre la maladie et l’usage de déodorants anti-transpirant, avec le rasage de la peau, etc.
En 2005, la surreprésentation des tumeurs sur la portion extérieure des seins a été élucidée de façon très prosaïque… puisque celle-ci correspond simplement à une différence de des tissus mammaires [2].
Un coup de com' malheureusement réussi...
Résumons : les travaux suisses publiés dans l’International Journal of Cancer décrivent un protocole complexe [3] pour provoquer des mutations chez l’animal à partir de substances qui, bien que massivement utilisées par l’homme, ne modifient en rien le paysage épidémiologique du cancer.
Remise dans le contexte des données scientifiques disponibles sur le sujet, l’étude aujourd’hui surmédiatisée ne justifie aucune alerte ou préconisation, comme l’ont récemment souligné plusieurs experts interrogés par la presse suisse. Il aurait été légitime d’appeler au principe de précaution si cette étude était venue resserrer un faisceau de présomptions antérieur… Ce n’est absolument pas le cas.
À l’approche d’Octobre rose, campagne annuelle de sensibilisation au cancer du sein, de nombreuses rédactions ont semble-t-il été victimes de l’agence de communication embauchée par les chercheurs suisses pour faire parler d’eux. Il est vrai que la peur fait vendre du papier et du "clic"…
Rien du côté du cancer du sein... mais d'autres risques sanitaires identifiés
Dans un rapport d'expertise très minutieux sur "l'utilisation de l'aluminum dans les produits cosmétiques", l'Afssaps (Agence de sécurité sanitaire) de 2011 confirmait que "les données épidémiologiques ne permettent pas d’établir un lien concluant entre l’exposition cutanée à l’aluminium et l’apparition d’un cancer". En revanche, d'autres effets potentiels de l'aluminium sur la santé ont été explorés par l'agence.
Au-delà du seuil de 20% d'aluminum dans les produits cosmétiques, l'agence identifie des risques plausibles à long terme : neurotoxicité, atteinte osseuse, ou encore anémie. Pour cette raison, l'Afssaps recommandait de "restreindre la concentration d'aluminium dans ces produits", ainsi que de "ne pas utiliser les produits cosmétiques contenant de l'aluminium sur peau lésée". En 2012, de nombreux produits commercialisés dépassaient encore ces recommandations.
Notes et références
[1] L’utilisation de déodorants/antitranspirants ne constitue pas un risque de cancer du sein. M. Namer et al. Bulletin du cancer, sept 2008. doi:10.1684/bdc.2008.0679
Voir également :
- Deodorant use and breast cancer risk. P.J. Hardefeldt et al. Epidemiology (letter to the editor), janv. 2013 doi:10.1097/EDE.0b013e3182781684
Le rapport de l'Afssaps cité plus loin dans l'article rejoint ces conclusions.
[2] Voir :
- Why is carcinoma of the breast more frequent in the upper outer quadrant? A case series based on needle core biopsy diagnoses. A.H.S. Lee, The Breast, avril 2005. doi: 10.1016/j.breast.2004.07.002
- One step forward in proving, that underarm cosmetics do not cause breast cancer. C.J. Rageth. The Breast, avril 2005. doi:10.1016/j.breast.2004.08.010
[3] Une expérience à la fois plus simple et plus instructive aurait pu consister à comparer un groupe de souris allègrement badigeonné de déodorant "avec sels d'aluminium" et un groupe aspergé de déodorant "sans sels"…