Le Sénat modifie la loi Evin pour favoriser la promotion du vin

Le Sénat a modifié ce 15 septembre la loi Evin en établissant, contre l'avis du gouvernement, une distinction entre la publicité sur les boissons alcooliques et l'information œnologique. Leur amendement doit être approuvé à l'Assemblée nationale pour entrer en vigueur. Un article de loi similaire avait déjà été introduit en juin par l'Assemblée durant l'examen de la loi Macron, mais avait été retoqué en août par le Conseil constitutionnel. Pour parler des conséquences d'une telle disposition sur les consommateurs, le Pr Amine Benyamina, psychiatre-addictologue à l'hôpital Paul Brousse (AP-HP) était l'invité du Magazine de la santé ce 16 septembre sur France 5.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Le Sénat met de l'eau dans la loi Evin (cc-by Jenny Downing) - Vidéo : entretien avec le Pr Amine Benyamina, psychiatre-addictologue
Le Sénat met de l'eau dans la loi Evin (cc-by Jenny Downing) - Vidéo : entretien avec le Pr Amine Benyamina, psychiatre-addictologue

287 voix pour, 33 contre

Ce 15 septembre, 287 sénateurs ont approuvé l'amendement déposé par le socialiste par Roland Courteau[1], seuls 33 sénateurs s'étant exprimés contre. 

"La loi Evin a encadré la publicité sur les boissons alcooliques sans en donner une définition claire. Face à ce vide, les juges se sont substitués au législateur pour la définir", a plaidé Roland Courteau."Cela constitue un redoutable carcan pour l'information journalistique et œno-touristique, qui peut conduire les journalistes à s'autocensurer et qui peut avoir de graves conséquences sur le développement, par exemple de l'œnotourisme", a ajouté le député socialiste de l'Aude. Il a appelé ses collègues à "apporter une clarification à la législation existante, distinguant d'une part, publicité et, d'autre part, contenu journalistique, informatif, tels que les reportages et donc de corriger l'insécurité juridique actuelle".

Au nom des 49.000 morts par an en France dus à l'alcool, et au nom de leurs familles, la ministre de la Santé Marisol Touraine s'est vivement opposée à l'amendement Courteau. "La publicité pour le vin n'est pas interdite, elle existe", a-t-elle observé. "Il y a un équilibre dans la loi Evin qui permet de développer l'œnologie, et je défends cet équilibre", a-t-elle ajouté en soulignant le paradoxe de voter ces amendements dans le cadre d'une loi santé.

Libéraliser la publicité pour l'alcool est un des chevaux de bataille des producteurs de vin notamment. Parmi les 29 sénateurs qui avaient déposé l'amendement à la loi Macron, 28 sont issus de régions vinicoles, comme le rappelait notre journaliste Rudy Bancquart, spécialiste des lobbies, le 10 juin dernier dans le Magazine de la santé. "Ce n'est plus un hasard, on a bien affaire à du lobbying et certains députés ne s'en cachent pas" ajoutait-il.

460 millions d'euros pour la promotion, moins du centième pour la prévention

En juin, à l'issue du vote en faveur de l'amendement à la loi Macron, de nombreux opposants avaient déjà exprimé leur crainte d'une banalisation de la publicité pour l'alcool. "Dès lors que l'on sait que l'alcool tue 50.000 personnes, peut-on vanter ses mérites comme s'il s'agissait d'un simple parfum ?" s'inquiètait Claude Evin dans Le Parisien. Pour lui, ce texte libérera "de facto la possibilité de faire de la publicité pour l'alcool […] et ce, quasiment sans limite". 

Les alcoologues avaient également lancé un cri d'alarme contre ce texte. "C'est l'ensemble de la population, et notamment les jeunes, qui vont être exposés à une promotion sans limite en faveur de la consommation d'alcool", expliquent-ils dans une lettre adressée à François Hollande. Une "initiative d'autant plus scandaleuse que les dépenses de publicité pour les boissons alcoolisées n'ont cessé de croître pour atteindre 460 millions d'euros en 2011, soit bien au-delà des 3,5 millions de crédits consacrés à la prévention en ce domaine" ajoutent-ils.

Durant l'été, le Conseil constitutionnel avait retoqué l’amendement, considérant qu'il avait été adopté "selon une procédure contraire à la Constitution" , puisqu'il n'avait rien à voir avec l'objet du projet de loi, à savoir l'économie et la croissance.

La Fédération Addiction avait alors déclaré que "compte tenu des offensives répétées du lobby alcool, sous couvert du développement de l’œnotourisme, il ne fai[sait] aucun doute que la mesure pourrait être réintroduite dans un autre texte" .

Suite à la publication d'une estimation des coûts des addictions pour la société, l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie avait déploré ce 11 septembre "la complaisance voire le déni [qui] prévalent à l'égard de l'alcool". Elle dénonçait "le forcing des producteurs pour inciter à la promotion des produits, notamment en direction des plus jeunes, reçoit un accueil favorable de la part de parlementaires" et jugeait que l'amendement proposé par Roland Courteau "aggraver[ait] les conséquences sanitaires et sociales" de l'alcool.

 


[1] Gérard César (Les Républicains, LR), Philippe Adnot (non inscrit), René-Paul Savary (LR) et Jean-Claude Requier (RDSE, à majorité PRG) avaient déposé des amendements similaires.

De façon quelque peu ironique, le Sénat s'est attaqué le même jour "à la consommation excessive d'alcool chez les jeunes" en adoptant un amendement fixant un prix "seuil" lors d'opérations de promotion dans les bars ("happy hours").