Soignants et coronavirus : "la priorité est de protéger les personnes exposées"
Dans les hôpitaux déjà sous pression, l’afflux de patients présentant des symptômes graves de coronavirus aggrave la situation. Les infirmières s'indignent du manque de responsabilité des Français qui ne respectent pas le confinement.
« Ma responsable nous a dit : 'Lundi matin, vous venez à telle heure et on verra ce que vous faites », raconte ce 18 mars Léa*, infirmière à l’hôpital d’Annecy. Après l’instauration du plan blanc pour traiter les patients atteints de coronavirus, tous les services de l’hôpital ont été réorganisés.
Comme dans tous les hôpitaux français qui accueillent ces patients, « tout ce qui n’est pas urgent ni vital est reporté », explique Nathalie Depoire, présidente du syndicat Coordination Nationale Infirmière (CNI). Cette infirmière de l’hôpital Nord Franche-Comté explique que déprogrammer des interventions permet de réorganiser des services complets et ainsi les remplir de patients atteints de Covid-19.
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Mobilisation générale
« Déjà en temps ordinaire nous sommes rappelés sur nos repos, mais en plan blanc on n'a même pas le droit de dire non », explique Léa. « Si on est rappelés sur nos vacances, et qu’on est à l’autre bout de la France, on doit rentrer. Ça fait partie des joies de la fonction publique », rit-elle.
Nathalie renchérit : « Tout le monde lutte, avec solidarité, pour faire face à une crise sans précédent à l’échelle de mon établissement. Les personnels formés pour la réanimation et les urgences s’occupent des cas de coronavirus. Le personnel d’hygiène hospitalière forme les autres, notamment à l’habillement. »
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Manque d'information sur les mesures de sécurité
« En dehors du service d’infectiologie, l’ambiance est pesante, on ne sait pas à quelle sauce on va être mangés », décrit Léa*. « Comme on ne sait pas où on va, aujourd’hui il y a beaucoup de cas, mais demain il peut y en avoir le double. »
Une inquiétude que partage Nathalie, en particulier au sujet des précautions à prendre. « On a beaucoup de questions légitimes du personnel concernant les équipements de protection », confie la présidente du CNI.
En effet, à Annecy, Léa* n’est pas tout à fait sûre des recommandations sanitaires : « Apparemment, c’est aucun bijou, même ceux qui sont autorisés habituellement. On n'a pas encore eu les consignes de sécurité, mais que fait-on de nos tenues qui couvrent tout le corps ? Est-ce qu’on se douche avant de quitter l'hôpital ? S’il faut se laver les cheveux tous les soirs en sortant du boulot, c’est pas l’idéal, mais on le fera. »
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Ces angoisses rejaillissent sur la vie privée
« On se pose des questions avec mon compagnon : je ne vais plus voir ma mère, on se demande si on va aller chercher les enfants qui sont en garde alternée. Je vais baigner dans l'épidémie toute la journée », s'inquiète l’infirmière annécienne.
« Un plan blanc mis en place dans le cadre d’un gros accident se termine vite, là on ne sait pas quand ça va se finir. On est inquiets », insiste Nathalie.
« On a besoin d’aide »
Dans ce contexte anxiogène, les soignants appellent toute la population à respecter au maximum les consignes de sécurité. « Il est important que la population comprenne qu’on a besoin d’aide », martèle la présidente du CNI. « Il faut arrêter de braver les mesures prises et rester chez soir pour limiter le flux de patients vers l’hôpital. Chacun peut nous aider, plus on respecte les mesures barrières, plus on limite l’épidémie. »
« Pour parvenir à gérer la crise, il faut que la population comprenne que le pire scénario pour l’hôpital serait un afflux de patients trop important. La priorité est vraiment à freiner l’épidémie », ajoute-t-elle.
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Les soignants stigmatisés
« J’ai vu une publication ce matin sur Facebook où une soignante a reçu un mot dans sa boîte aux lettres qui lui demandait d’éviter les parties communes de son immeuble, voire d’aller habiter ailleurs », s’indigne Léa*. « On est déjà sur le front à l’hôpital, et on se fait traiter comme des pestiférés. » Selon elle, ce genre de situation ne tardera pas à lui arriver : « Ma mère m’a déjà dit 'tu ne reviens plus chez moi !’ »
Nathalie, quant à elle, a vu des collègues dont la voiture a été fracturée « pour récupérer des masques et du gel hydro-alcoolique. S'afficher soignant avec le caducée sur la voiture, c’est s’exposer à ça ? Non mais c’est pas possible ! Il faut raison garder et que le stock soit réservé à ceux qui en ont le plus besoin », tempête l’infirmière. « C’est lamentable. »
Soutien envers et contre tout
« Heureusement on reçoit aussi beaucoup de messages positifs », se rassérène Nathalie. « Le rôle des soignants va être essentiel, on a besoin de soutien et pas de freins. »
Elle se souvient d’une anecdote qui est arrivée dans un hôpital voisin du sien : « A Besançon, une pâtisserie fermée pour le confinement a fait livrer des douceurs aux soignants pour écouler son stock. C’est le genre de choses qui nous touche. »
« Qu’on nous donne les moyens de remplir nos missions ! »
Mais évidemment, ce n’est pas avec des gâteaux que les soignants combattront l’épidémie. « Nous étions en grève depuis plusieurs mois », rappelle Nathalie. « On attend des livraisons de masques de l'Etat, mais on ne sait pas quand elles arriveront ni si elles seront suffisantes. Les mesures de sécurité sont renforcées donc on consomme beaucoup plus d’équipements. »
Léa* renchérit : « En tant que soignant, on n'avait déjà pas le temps de parler de la pluie et du beau temps avec les patients, mais là encore moins. On est déjà un hôpital sous tension et on se retrouve pliés en quatre ! »
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« L’heure du bilan et des comptes viendra »
Même si pour l’heure, la priorité est la crise sanitaire, Nathalie Depoire ne perd pas de vue les propos récents d’Agnès Buzyn dans Le Monde. L’ancienne ministre de la Santé a en effet déclaré : « Quand j’ai quitté le ministère, (…) je savais que la vague du tsunami était devant nous », qualifiant le maintien des élections municipales de « mascarade ».
« Viendra après la question de la prévision et de l’anticipation, la priorité est de protéger les personnels exposés. Qu’on nous donne les moyens de remplir nos missions ! », réclame la présidente du CNI.
« Cela fait un moment que nos professions sont vent debout pour exprimer qu’on ne peut plus travailler correctement », termine-t-elle. « Quand on dit qu’on manque de lits, que l’hôpital public est moins attractif, que c’est compliqué de recruter, c’est parce que cela ne nous permet pas de faire face correctement à une crise telle que le Covid-19. »
*Le prénom a été modifié