"Ghettoïsation", "ségrégation", le CCNE dénonce les conditions de vie des personnes âgées
Selon le Comité national d’éthique (CCNE), notre société confine « des personnes âgées dans des “lieux de vie” souvent violents et parfois même maltraitants ».
Dans un avis rendu le 16 mai, le Comité national d'éthique (CCNE) porte un regard sévère sur le sort des personnes âgées en France et propose des pistes pour renouer le lien entre les générations. Le Professeur Régis Aubry, chef du service de soins palliatifs se l’hôpital de Bensançon et membre du Comité national consultatif d’éthique répond aux questions du Magazine de la santé.
- Les mots de l’avis sont durs : « ghettoïsation », « ségrégation »… Pourquoi un ton si sévère ?
Pr Régis Aubry : « Le Comité consultatif d’éthique a pour mission d’essayer d’éclairer des zones d’ombre, de faire apparaître aux yeux de tous des choses qu’on aimerait ne pas voir. Nous avons essayé de nous mettre à la place de ces personnes et tenté de comprendre ce que peuvent vivre ces personnes âgées, vulnérabilisées par la perte de leur indépendance, contraintes souvent à vivre la deuxième partie de leur existence dans un lieu qu’elles n’auraient pas souhaité investir. Et cette contrainte se double d’une autre réalité : on concentre ces personnes âgées entre elles. Nous avons voulu interroger cela en pensant qu’il fallait interroger le soubassement éthique des politiques d’accompagnement du vieillissement .»
- Vous plaidez pour la réintégration des personnes âgées dans la société …
Pr Régis Aubry : « Tout à fait. On force probablement un peu le trait dans un avis qui veut attirer l’attention sur quelque chose qu’on ne souhaite pas regarder, c’est pour cela que l’on parle de « dénégation collective ». Mais cet avis est aussi doublé de propositions qui tendent à offrir une palette de possibilités de lieux et d’espaces de vie pour des personnes qui au motif qu’elles sont âgées sont parfois privées de la liberté d’aller et venir là où elles veulent. »
- L’âgisme que vous dénoncez se traduit-il par des mauvaises pratiques dans la manière de soigner les personnes âgées ?
Pr Régis Aubry : « Oui et c’est d’autant plus important à souligner que c’est généralement inconscient. Dans le domaine de la santé, les temps des acteurs de la santé ne croisent pas les temps des personnes très âgées. Le vieillissement, c’est une forme de ralentissement et cette lenteur ne croise plus le temps des urgences ou des pratiques qui valorisent la performance, la rapidité. Nous avons constaté dans les études que nous avons compilées que l’on ne prenait plus toujours le temps d’examiner les personnes âgées car ça prend du temps. On ne prend parfois plus le temps d’attendre la réponse qui va nous êtes donnée par la personne âgée. C’est une forme d’exclusion qui s’opère sans que l’on en ait conscience. »