Kangouroo Girl : "J'ai mis du temps à aimer mon corps, il a forgé ce que je suis"
Après une intervention chirurgicale qui se déroule mal, Charlène voit sa vie basculer. Aujourd'hui, sur sa page Facebook "Kangouroo Girl", elle milite pour faire changer le regard sur les personnes vivant avec une stomie.
Quand la vie bascule
"Suite à une opération, je me suis réveillée après neuf jours de coma, avec une cicatrice énorme, trois poches sur le ventre dont deux pour recueillir les selles et une sur la cicatrice pour un abcès, une sonde urinaire et des drains partout."
Atteinte d'une rectocolite hémorragique (maladie qui touche le côlon et le rectum), Charlène a subi il y a cinq ans une intervention relativement mineure, pour laquelle une stomie transitoire était censée être réalisée. Dans ce cas, les selles sont évacuées par un orifice sur l'abdomen, puis recueillies dans une poche. Mais l'opération tourne mal suite à une erreur chirurgicale : "j'ai été plongée en coma artificiel et j'avais un pansement à ventre ouvert car les chirurgiens essayaient de sauver le maximum d'intestin grêle et opéraient régulièrement. On ne savait pas si j'allais sortir du coma, ni dans quel état..." Finalement, son intestin grêle doit être extrêmement raccourci puisqu'il ne lui reste que 30 cm, au lieu des 6 mètres de longueur. La poche s'avère permanente et Charlène est nourrie par perfusion.
"C'est hyper difficile émotionnellement et j'ai eu des moments extrêmement éprouvants, se souvient-elle. Je me suis réveillée meurtrie psychologiquement et physiquement. A 18 ans, j'ai appris à nouveau à marcher, à boire, à déglutir !" Elle découvre un corps profondément transformé par l'intervention, qu'elle doit apprivoiser progressivement. Elle est alors nourrie et hydratée par perfusion 24 heures sur 24.
"Je n'ai pas compris tout de suite ce qui m'arrivait, j'ai mis du temps à me dire que c'était mon corps, même si on m'avait expliqué plusieurs fois ce qu'il se passait. Mais avec le temps, je me suis dit que la stomie et les cicatrices étaient là, que ça m'avait sauvé la vie et qu'il fallait que je fasse avec ce corps. Je me suis rendue compte rapidement, que je n'avais pas le choix et qu'il fallait que je m'accepte mais il m'a fallu des années pour accepter. Durant 5 ans et demi, je me suis cachée, parce que j'avais honte de mon corps, j'avais peur du regard des autres..."
Le temps est le plus précieux des alliés mais c'est "l'amour de ma famille et de mes proches qui m'a vraiment aidée". A l'hôpital et en dépit du choc, Charlène se sent chanceuse d'être en vie et au bout de six semaines à l'hôpital, une hospitalisation à domicile est prévue. Le retour à la réalité se révèle très difficile.
Un retour à la réalité difficile
"J'avais des coups de blues car je suis revenue à la réalité, différente des quatre murs de ma chambre d'hôpital... Mais je me suis donnée des objectifs chaque jour : mon lit, puis marcher autour, puis dans le couloir et chaque jour était une grande victoire. Le fait de me lever et me coiffer était énorme !"
A la maison parentale, durant deux mois, les infirmières s'occupent de tout, des soins mais aussi de la douche et de l'habillage tant Charlène est faible. La jeune femme est perfusée 24 heures sur 24, sans pouvoir sortir, ni même se lever...
"J'avais des amis qui passaient mais dans ce genre de moments, on peut compter ses amis sur les doigts d'une seule main. Ils sont très précieux, petit frère, parents. A l'époque j'étais en terminale littéraire, mes professeurs de philosophie, d'espagnol et d'histoire venaient me donner les cours et je faisais tout pour réviser. Je me suis acharnée et j'ai passé mon bac en septembre, c'était mon échappatoire." Peu à peu, Charlène reprend des forces et finit par obtenir enfin le droit de sortir un peu, en interrompant la perfusion quelques heures. Elle se passionne aussi pour la psychologie, une discipline qui l'aide grandement à accepter ce qui lui arrive.
Mais une fois son bac en poche, Charlène réalise que la faculté n'est pas une option. Elle est perfusée 15 heures par jour et comme elle n'a plus de sensation de satiété et qu'elle lutte pour prendre du poids, elle mange énormément. "Résultat, je vide ma poche plus de 50 fois par jour car je sors 7 litres de ma stomie par jour !" Commence alors un long parcours pour s'habituer à cette nouvelle vie, qui est désormais sa réalité.
Deux défis, s'accepter et accepter le regard des autres
"Je n'avais pas le choix ni d'autre alternative possible... C'était mon quotidien, ma vie et mon premier combat a été de m'accepter moi-même. J'ai mis énormément de temps à pouvoir me regarder dans le miroir à pouvoir me toucher le ventre, à pouvoir me laver. Tout était difficile mais je devais me retrouver avec mon corps."
Son second combat fut de mieux vivre le regard des autres : "il est forcément différent, quand on a une poche à caca sur le ventre, un cathéter sur la poitrine et que l'on est perfusée 15 heures sur 24 !" Mais la grande bienveillance de ses proches et leur soutien l'aident à s'habituer au regard des autres, tout comme la présence de son petit ami, son premier amour.
"Je lui ai montré mon ventre, je pleurais beaucoup dès que je devais me retrouver avec mon corps et il réussissait à apaiser mes peurs, confie-t-elle, émue. Il y avait une grande confiance entre nous, une bienveillance énorme, de l'amour. Il me répétait que ce qui m'était arrivé ne me définissait pas et je voyais dans ses yeux que j'étais la fille qu'il aimait, que cela ne changeait rien. Honnêtement, me voir si belle et si forte dans les yeux du garçon qu'on aime, ça m'a énormément aidée..." Les amoureux se sont séparés à cause de la distance puis Charlène a rencontré un autre garçon, qui l'a poussée à continuer ce travail d'acceptation, à se rendre compte qu'elle pouvait faire tellement de choses, avec de l'organisation, et que tout était possible à partir du moment où elle le voulait ! Trop différents, ils ont fini par se séparer mais Charlène garde les bénéfices de cette relation.
"Pour avoir une vie au maximum normale, j'ai décidé de suivre une formation pour pouvoir faire mes soins seule et être autonome au niveau de ma stomie et pour pouvoir me perfuser seule." C'est alors le début d'une nouvelle vie : elle voyage à nouveau à Paris, aux Sables d'Olonne, l'Espagne et même au ski.
Kangouroo girl, une renaissance
Depuis juin 2018, Charlène crée la page Facebook et Instagram Kangouroo girl pour aider les autres personnes ayant une poche ou souffrant du syndrome du grêle court, et pour sensibiliser les gens :
"Cela faisait des années que ça me trottait dans la tête. J'étais terrifiée par le regard des autres, j'avais peur qu'ils me voient juste comme une malade mais j'avais aussi peur de m'afficher sur les réseaux sociaux. Ma meilleure amie qui est d'un soutien hors du commun m'y poussait et un jour, je me suis dit qu'il y avait trop de gens dans ma situation qui avaient peur ou qui ne parlaient pas, qui se sentaient incompris même au regard de leur propre mari ou enfant... Et j'ai eu un déclic !"
Objectif réussi, la page rencontre un franc succès... " Tout ce qui touche au caca, ça gêne les gens ou ça les dégoute. A 25 ans, il ne faut pas que des choses comme ça changent le regard des autres. On doit être belle, fine, mince mais moi, j'ai une poche à caca qui sort du ventre, un cathéter, neuf cicatrices ! Comme ça, je suis plus épanouie qu'une fille lambda car mon histoire m'a fait prendre conscience de la valeur de la vie, vision que je n'avais pas avant... j'ai mis du temps à aimer mon corps, il a forgé ce que je suis. Mon vécu, m'a changée, il m'a fait grandir, il m'a rendue meilleure. Il m'a fait vieillir avant l'heure mais aujourd'hui je me rattrape et je profite encore plus des bons moments qu'une autre. On ne sait pas ce qui se passera demain, aujourd'hui on est là..."
Cette page Kangouroo girl lui a ouvert la porte à plusieurs projets professionnels passionnants en lien avec la stomie mais ils sont en cours de concrétisation et donc encore secrets. "Lorsque l'on a une poche, on a plus de difficultés à retrouver sa féminité, sa sensualité... C'est pour cela que ces projets me tiennent à cœur car je veux aider !" affirme Charlène.
"Je suis plus heureuse en ayant affiché et parlé de ma santé, je me sens libérée, soulagée, parfois incomprise mais je me suis libérée du poids énorme, que j'avais sur les épaules tout le temps. Depuis Kangouroo girl, il y a beaucoup de choses qui s'ouvrent à moi et j'ai envie de me battre pour faire connaître le syndrome, les stomies ! J'ai énormément de messages de remerciements, donc cette page, ce n'est que du bonheur..."