Amiante : non-lieux annoncés dans une vingtaine de dossiers emblématiques
Le parquet de Paris a requis la fin des investigations dans plusieurs enquêtes emblématiques ouvertes dans le scandale de l'amiante, a-t-on appris ce 27 juin de sources concordantes. Il juge impossible de déterminer avec certitude la date à laquelle les victimes ont été intoxiquées. La décision ouvre la voie à toute une série de non-lieux dans les instructions menées sur ce drame sanitaire depuis vingt ans.
"Le diagnostic d'une pathologie liée à l'amiante fait la preuve de l'intoxication mais ne permet pas de dater l'exposition ni la contamination", a estimé le 13 juin le parquet dans ses réquisitions révélées par Le Monde et dont l'AFP a eu connaissance.
Une analyse qui s’aligne sur celle défendue par les juges d'instruction chargés de ces dossiers : les magistrats ont estimé, dans une ordonnance rendue le 9 juin, que "cet aléa dans la date des faits ne pourra pas permettre de conduire des investigations ciblées et efficaces de nature à réunir des charges qui pourraient être imputées à quiconque". En clair, qu'ils ne pouvaient réunir des éléments suffisamment précis pour renvoyer des protagonistes devant les tribunaux.
Quelle interprétation de l’expertise ?
Le parquet et les magistrats instructeurs appuient leur analyse sur une expertise judiciaire diligentée en 2016 afin d'établir les liens entre la fibre cancérogène, interdite en France depuis 1997, et certaines maladies.
Rendue au début de l'année, "cette expertise dit le contraire de ce que la justice veut aujourd'hui lui faire dire", s'est indignée maître Sylvie Topaloff, l’un des conseils de l’Andeva, l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante. "Selon les experts, dès que l'on a été exposé, on a été contaminé. C'est aberrant que les magistrats ait une lecture diamétralement opposée".
À ses yeux, la portée de cette décision du parquet est "historique" car elle signifie qu'"aucun responsable qui expose ses salariés à un produit cancérogène ne peut être poursuivi vu que l'on ne connaît jamais la date précise d'une contamination".
Les associations feront vraisemblablement appel en cas de non-lieu
Les non-lieux qui pourraient être prononcés concernent une vingtaine de dossiers actuellement instruits au pôle de santé publique de Paris: celui de la société Eternit, premier producteur français d'amiante-ciment jusqu'à l'interdiction de la fibre, de l'usine de Condé-sur-Noireau dans le Calvados, de l'entreprise Everite implantée par Saint-Gobain, des anciens chantiers navals de la Normed à Dunkerque ou encore du campus de Jussieu.
Dans les cas de Jussieu et la Normed, la justice doit se prononcer le 15 septembre sur les mises en examen de plusieurs protagonistes. "Il y a fort à craindre, au vu des réquisitions du parquet, que ces mises en examen soient annulées et que là encore on aboutisse à un non-lieu", a relevé François Desriaux, l’un des porte-parole de l’Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante). Il a annoncé que l'Andeva ferait "immédiatement appel lorsque les ordonnances de non-lieu seront prononcées".
avec AFP
Les autorités sanitaires imputent à l'amiante 10 à 20% des cancers du poumon, et estiment que l'exposition à cette fibre pourrait provoquer jusqu'à 100.000 décès d'ici à 2050. D'après l'Andeva, 3.000 personnes meurent chaque année d'une pathologie liée à l'exposition à l'amiante.