Annulation de la radiation du Pr Joyeux : une décision juridique, pas une validation scientifique
Cette décision, qui annule la radiation du Pr Joyeux du Conseil de l'Ordre des médecins, ne signifie pas que ses propos, qui mettent en cause la vaccination, soient validés scientifiquement. Décryptage.
Pour comprendre la décision de la chambre disciplinaire, rendue publique ce 26 juin, d’annuler la décision de radiation du Pr Henri Joyeux du registre de l’Ordre des médecins, plusieurs points doivent être rappelés. Premièrement, cette chambre disciplinaire est une instance juridique indépendante du Conseil de l’Ordre des médecins. Présidée par un membre du Conseil d’Etat, cette entité juridique possède l’expertise pour examiner les questions de droit relatives aux décisions du Conseil.
La radiation prononcée en 2016 reposait sur un dossier essentiellement constitué de deux pièces. Premièrement, une pétition contre une recommandation du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur l’abaissement de l’âge de la vaccination contre le papillomavirus. Deuxièmement, une seconde pétition, relative au vaccin DT Polio, plaidant pour la mise à disposition séparée des vaccins obligatoire et des vaccins seulement recommandés.
Dans le dossier, on ne trouve donc pas toutes les autres prises de positions publiques d’Henri Joyeux – ses propos tenus en conférence, son soutien à des défenseurs de thèses pseudo-scientifiques diverses, etc. En première instance, l’Ordre avait fait valoir que ces pétitions constituaient « un manquement à la déontologie », en ce qu’Henri Joyeux "[avait mis] en danger la santé publique en faisant douter la population de l'intérêt de la vaccination".
Or, la chambre disciplinaire a estimé que le texte des pétitions incriminées restait « dans les limites de la liberté d’expression » d’un médecin.
L'opinion isolée de chercheurs n'est pas le consensus scientifique
La première pétition demandait ainsi un moratoire sur une recommandation du HCSP, et ne contestait pas une décision de santé publique déjà actée. Pas suffisant, selon l’instance juridique, pour justifier une radiation.
Dans la seconde pétition, Henri Joyeux présente comme des « soupçons » de nature scientifique des affirmations qui, scientifiquement justement, n’ont aucune assise solide : en l’occurrence, l’hypothèse d’un lien causal entre le vaccin contre l’hépatite B et le développement de sclérose en plaques. Aux yeux du Conseil de l’Ordre, propager des thèses qui font tout, sauf consensus, constitue un manquement clair à la déontologie. À l’inverse, la chambre disciplinaire a jugé qu’Henri Joyeux relayait ici le point de vue de « certains scientifiques »…
C’est précisément là où se jouent de nombreuses décisions juridiques controversées : on oublie que la science, ce n’est pas le point de vue d’untel ou d’untel. C'est, au contraire, un travail cumulatif et collectif qui permet in fine de dire « là, il y a des soupçons sérieux », ou « là, il y a toutes les raisons d'être confiant ». Se réfèrer à la littérature scientifique, ce n'est pas sélectionner les quelques publications qui flattent nos préjugés ou servent nos intérêts.
"Cela veut dire que j'ai raison", plastronne Henri Joyeux
En somme, parce que le Conseil de l’Ordre s’est initialement contenté de monter un dossier avec les pétitions, sans y agréger d’autres propos peut-être beaucoup plus condamnables d’Henri Joyeux, ce dernier a réussi à faire valoir qu’une décision aussi lourde – la radiation – était « insuffisamment motivée ».
Suite à l’annonce de la décision, le (toujours) médecin a déclaré à la presse : "Je ne suis pas du tout radié, je n'ai pas de blâme. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que j'ai raison !"
Non : on l'a dit, cette décision de justice porte sur les manquements du dossier ; elle ne veut pas dire que ses allégations sur la dangerosité de tel ou tel vaccin sont scientifiquement fondées. Méfions-nous de ceux qui brandiront cette décision pour faire croire que « l’Ordre des Médecins reconnaît qu’il y a une controverse scientifique », alors que la justice a uniquement estimé le dossier insuffisamment ficelé pour justifier une radiation.
Pour la science, l'Ordre des médecins repassera.
FG
Remerciements à Vincent Granier, journaliste santé/justice à l’agence de presse médicale APM, pour son éclairage sur ce dossier.