Une kiné condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir induit de faux souvenirs
Une kinésithérapeute a été condamnée ce 23 mai à un an de prison avec sursis, 20.000 euros d'amende et plus de 300.000 euros de dommages et intérêts, pour avoir soutiré des sommes considérables à des patientes. Celles-ci ont décrit un mécanisme d'emprise mentale via de "faux souvenirs induits".
Marie-Catherine Phanekham, 44 ans, a été reconnue coupable d'abus de faiblesse par le tribunal correctionnel de Paris. Sa peine de prison est assortie d'un sursis avec une mise à l'épreuve, qui comprend notamment une obligation d'indemniser les victimes. Le tribunal a également prononcé contre elle une interdiction d'exercer sa profession de kiné pour une durée de trois ans.
Au total, la prévenue a été condamnée à verser plus de 310.000 euros de dommages et intérêts aux victimes ou à leurs proches qui se sont constitués parties civiles. Le tribunal l'a également condamnée à verser un euro aux conseils départemental et national des masseurs-kinésithérapeutes, et 1.000 euros de dommages et intérêts à l'ADFI (Association de défense des Familles et de l'Individu) Paris Ile-de-France. Son président, Daniel Sisco, a jugé "très important" que la culpabilité de la prévenue ait été reconnue.
Les victimes soulagées
Lors du procès en février, les plaignantes ont toutes raconté comment la thérapeute leur avait induit de faux souvenirs d'abus sexuels qu'elles auraient subis pendant l'enfance, comment elles en sont venues à rompre avec leur entourage et à verser des sommes importantes, parfois plusieurs dizaines de milliers d'euros (voir plus bas).
Mme Phanekham, elle, n'a eu de cesse de contester les faits qui lui sont reprochés. Face à la convergence des témoignages à charge, elle a simplement concédé "l'erreur" d'avoir été "trop proche de ces gens".
Son avocate, maître Marie Dosé, a estimé que le tribunal a "ramené un peu de raison" dans une affaire à ses yeux "instrumentalisée" par certaines parties civiles et associations. Elle n'était pas en mesure d'indiquer dans l'immédiat si elle ferait appel.
L'une des victimes, Patricia Padovani, s'est félicitée que "l'emprise" ait été reconnue. "Les associations, on en a besoin, elles ont un rôle à jouer", a-t-elle ajouté. Avocat de plusieurs parties civiles, Me Olivier Morice a estimé que le tribunal a reconnu que la prévenue utilisait un mécanisme de "sujétion psychologique que l'on retrouve dans les dérives sectaires".
Faux souvenirs induits ?
La mémoire est modelable, modifiable, falsifiable. C’est la raison pour laquelle des thérapies spécialement conçues pour faire ressurgir des "souvenirs enfouis" sont interdites par de nombreuses associations professionnelles de psychologues, outre-Manche ou outre-Atlantique.
Les faux souvenirs induits, qui peuvent émerger dans des situations particulières de fragilité psychologique et de soumission à l’autorité (séances d’hypnose, de psychanalyse, voire dans une autre mesure lors d’interrogatoires policiers…) ont une réalité avérée par de très nombreuses recherches en psychologie. Les "thérapies de la mémoire retrouvée" ne sont pas à confondre avec les situations dans lesquelles d’authentiques souvenirs ressurgissent brutalement dans certains contextes (retour sur les lieux de son enfance, par exemple).
Donner l'argent "malsain" pour le "libérer des ondes"
Dans le cas des patients de la kinésithérapeute, les faux souvenirs concernaient le plus souvent des faits d'inceste ou de maltraitances soi-disant subis durant l'enfance. C'est ainsi que l'une des plaignantes a accusé à tort son père de l'avoir violée. La thérapeute "m'a fait comprendre que ma mère avait cherché à me tuer, quand j'étais dans son ventre", a déclaré une autre…
Outre les 100 euros en espèces à chaque consultation, certaines patientes ont donné beaucoup d'argent à leur thérapeute. L'une lui a par exemple versé la totalité de son indemnité de licenciement: 75.000 euros.
Selon le récit d'une autre patiente, qui avait également été licenciée, la prévenue lui avait demandé de se débarrasser de cet argent "qui représentait la "sécurité" et l'empêchait d'avancer. Et si elle voulait le donner à des associations, il fallait qu'elle lui donne cet argent "malsain" pour le "purifier", le "libérer des ondes".
Difficile d'admettre que l'on est victime
L'une des membres du "groupe" gravitant autour de la thérapeute, décrit comme sectaire, lui avait cédé son appartement pour 61.000 euros, revendu deux ans plus tard sept fois plus cher, sans qu'elle ne trouve rien à y redire (cette personne n’est pas partie civile).
L'une des patientes avait remis de fortes sommes d'argent en liquide à la thérapeute, issues de la vente de stock-options, qui avoisineraient 750.000 euros. Cette femme s'est, elle, constituée partie civile, mais refuse d'être considérée comme une victime. Elle avait accusé ses parents d'être à la tête d'un réseau pédophile, a parlé d'orgies, de sacrifices d'enfants, d'avortements forcés, d'expériences sur le cerveau, de magie noire...
A l'issue des investigations sur le patrimoine de la prévenue, eu égard à son train de vie élevé, les enquêteurs pensent, compte tenu de ses nombreux voyages en Thaïlande et au Laos, que l'argent a été investi ou conservé à l'étranger.
la rédaction d'Allodocteurs.fr, avec AFP
De faux souvenirs peuvent être induits dans de nombreux contextes, y compris… lors d'interrogatoires de police : des demandes insistantes, des suggestions destinées à créer des doutes dans le déroulé des évènements, peuvent bouleverser un témoignage. Policiers, juges et avocats sont théoriquement sensibilisés à ces questions, afin que les faits remémorés soient le plus fidèles à la "trace mnésique" originale des témoins.