Dossier médical personnel, la bonne idée qui tourne au fiasco
Il y a quelques semaines, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a annoncé la relance du dossier médical personnel (DMP). Le DMP est devenu le serpent de mer le plus long de notre système de santé, un projet sans cesse repoussé et qui finit par coûter très cher… Alors est-ce un échec ou peut-on encore croire au dossier médical personnel ? Les explications avec Maroussia Renard, notre chroniqueuse économique.
En mai 2004, le ministre de la Santé de l'époque, Philippe Douste-Blazy, annonçait la création d'un dossier médical partagé pour tous les Français. Sur le papier, l'idée était intéressante : le DMP devait rassembler tous les documents permettant de retracer l'histoire médicale du patient : analyses de labo, examens d'imagerie, prescriptions, compte-rendu d'hospitalisation… Le dossier médical personnel était la solution miracle pour boucher le trou de la Sécu. Le DMP devait permettre d'éviter les actes redondants, améliorer les prescriptions avec à la clé 3,5 milliards d'euros d'économies par an. Philippe Douste-Blazy s'était donné deux ans pour généraliser le DMP.
Mais dès le départ, les blocages se sont enchaînés : le cahier des charges s'est fait attendre, les décrets sur l'hébergement des données n'étaient jamais publiés… Résultat : quatre ans plus tard, le DMP est relancé par le nouveau ministre de la Santé, Roselyne Bachelot. Et l'histoire se répète inlassablement : cette fois, le DMP se heurte à des démissions en cascade parmi ses responsables, des problèmes d'informatisation des données. On tente quelques expérimentations régionales mais le DMP végète jusqu'à une énième relance.
Le DMP, un fiasco ?
Le dossier médical personnel a vu le jour en avril 2011, avec cinq ans de retard sur le calendrier initial. Mais aujourd'hui le DMP existe. Il s'agit d'un dossier consultable sur Internet avec des onglets pour chaque type de document. En théorie, vous pouvez demander à n'importe quel professionnel de santé de vous en ouvrir un. Mais il n'a plus rien à voir avec l'ambition de départ. Tout d'abord il est purement facultatif alors qu'initialement il était obligatoire pour chaque assuré. Il devait même conditionner les remboursements Sécu.
Ensuite, on est très loin de l'outil de coordination prévu au départ : le DMP ne s'est absolument pas substitué aux milliers de dossiers patients ouverts par les cliniques, les hôpitaux ou encore les médecins.
Et quand on observe les chiffres, on hésite entre fiasco et naufrage. À ce jour, 422.833 DMP ont été ouverts or l'objectif était d'atteindre cinq millions de dossiers fin 2013… Et encore, la moitié des dossiers médicaux personnels sont totalement vides. On est très loin du carnet de santé numérique universel promis en 2004 !
Le dossier médical personnel, un échec qui coûte cher
On peut donc dire que le DMP est un échec qui a coûté très cher. Il y a une bataille de chiffres qui dure depuis des mois. Pour être le moins partial possible, nous allons donner plusieurs estimations : officiellement le DMP a coûté 187 millions d'euros. Mais selon la cour des Comptes la facture atteint 210 millions d'euros et si on ajoute le coût de tous les dossiers informatisés mis en place dans les hôpitaux, destinés à alimenter le dossier médical personnel, on atteint 500 millions d'euros. Cela fait donc 1.200 euros le dossier.
Cela représente beaucoup d'argent vu le résultat. Mais si on avait voulu créer un vrai carnet de santé numérique pour tous les Français, consultable par tous les soignants, il aurait fallu mettre beaucoup plus d'argent sur la table. Dans ce dossier, il y a un vrai problème de volonté politique.
Dossier médical personnel : comment expliquer un tel gâchis ?
Le DMP est l'illustration d'un mal français bien connu : on confie d'abord la conception de projets compliqués à des technocrates. Ensuite on essaie de les appliquer à la réalité. Et enfin, on se rend compte qu'il aurait déjà fallu interroger les gens sur le terrain. En l'occurrence, les médecins n'ont jamais été vraiment consultés. Du coup il font de la résistance d'autant plus qu'ils n'ont pas forcément envie d'un outil qui permettrait de scruter ce qu'il se passe dans leur cabinet : est-ce que leurs prescriptions sont justifiées ? Ont-ils tardé à faire un diagnostic ? Ont-ils fait les bons choix thérapeutiques ?
Au-delà de ces réticences, il y a des obstacles matériels : seul un médecin sur deux a un logiciel de gestion patient compatible avec le dossier médical personnel et puis cela prend du temps de le créer et de l'alimenter
Autre raison pour expliquer ce fiasco : le DMP, comme son nom l'indique, devait être un outil de partage des données médicales, or ce n'est plus vraiment le cas. Cela explique en partie les réticences des soignants : au fil du temps, le DMP a été en quelque sorte vidé de sa substance pour une question de protection des données. Aujourd'hui c'est le patient qui choisit non seulement les informations qui peuvent figurer dans son dossier mais aussi les professionnels de santé qui peuvent y avoir accès.
Evidemment le respect du droit des patients est essentiel mais le problème est que la protection des données a été poussée tellement loin, qu'elle rend le DMP quasiment inopérant… La loi a par exemple prévu une exception : en cas d'appel au SAMU ou d'urgence vitale, les médecins sont censés pouvoir avoir accès à tout le contenu de votre DMP, on parle d'accès "bris de glace", sauf qu'au moment de la création de votre dossier, vous pouvez refuser cette option. De la même manière que vous pouvez demander à votre médecin de masquer des documents. On est donc loin de l'outil qui devait permettre à chaque soignant de connaître en quelques clics le parcours médical du patient.
Vers la fin du dossier médical personnel ?
Marisol Touraine a annoncé il y a quelques semaines le lancement d'un DMP deuxième génération sans être très précise sur les changements qu'elle compte faire. Il existe plusieurs pistes pour limiter les dégâts. D'abord il faudrait réduire la voilure et développer ce dossier uniquement pour certains groupes de patients, par exemple pour les malades chroniques ou les personnes âgées.
Une deuxième idée serait de créer une incitation financière pour les médecins qui accepteraient d'ouvrir des DMP pour qu'ils s'approprient le projet. Il serait aussi question de confier la gestion de ce dossier entièrement à la CNAM alors qu'aujourd'hui il est géré par une agence gouvernementale spécifique, l'Asip Santé, qui connaît bien des difficultés : son directeur a été débarqué en novembre 2013 et n'a toujours pas été remplacé.
Mais on a absolument besoin d'un outil pour améliorer la coordination des soins et vu ce que ce projet a coûté, il paraîtrait insensé de renoncer. Mais ce n'est pas avec 200.000 dossiers à moitié vierges que l'on va révolutionner l'organisation des soins dans notre pays.