Transports sanitaires : comment réduire les dépenses ?
Que ce soit une ambulance pour aller à l'hôpital ou un taxi pour se rendre à une dialyse... chaque année, plus de cinq millions de patients bénéficient d'une prise en charge pour se déplacer jusqu'à un lieu de soins. Cela représente un énorme budget. Or, ces dépenses ne sont pas toujours justifiées. Les explications de Maroussia Renard, chroniqueuse spécialisée en économie.
L'Assurance maladie a fait des transports sanitaires un de ses dossiers prioritaires pour 2016. Il faut dire que la facture des transports sanitaires ne cesse de grimper. En dix ans, elle est passée de 2,3 à 4 milliards d'euros par an, soit l'équivalent de ce que coûtent toutes les analyses de biologie chaque année.
Evidemment, des facteurs objectifs expliquent cette augmentation : le vieillissement de la population, l'augmentation des patients atteints de maladies chroniques et les fermetures d'hôpitaux de proximité qui éloignent les patients des lieux de soins. Mais lorsqu'on regarde les chiffres en détail, d'un département à l'autre, les dépenses de transports varient de un à quatre sans que cela n'ait un rapport ni avec l'état de santé de la population, ni avec la répartition de l'offre de soins.
Qui peut bénéficier d'un transport sanitaire ?
En mettant de côté les situations d'urgence, il existe cinq cas dans lesquels les frais de transports sont pris en charge en partie ou intégralement par la Sécu :
- si vous êtes hospitalisé,
- si vous devez être soigné à plus de 150 km de chez vous,
- en cas de soins liés à un accident du travail ou une maladie professionnelle,
- si vous devez recevoir des soins en rapport avec une ALD et que vous ne pouvez pas vous déplacer seul
- si vous avez un traitement qui nécessite des transports en série (au moins quatre transports de plus de 50 km sur deux mois), par exemple pour une chimiothérapie ou une dialyse.
Dans tous les cas, c'est au médecin de décider si un patient a besoin d'un transport. Il s'agit d'une prescription médicale, au même titre qu'une ordonnance pour un médicament ou une séance de kiné. Tout dépend de votre état de santé. Si vous pouvez vous déplacer seul, vous êtes censé prendre votre voiture ou les transports en commun (la Sécu vous remboursera l'essence ou les tickets). Si vous avez besoin d'aide pour marcher, on vous prescrira un trajet en taxi conventionné ou en VSL (véhicule sanitaire léger, voitures blanches avec croix bleue). L'ambulance est strictement réservée aux patients qui doivent être transportés allongés ou qui nécessitent une surveillance médicale permanente.
Des prescriptions injustifiées qui coûtent cher
Selon la Cour des Comptes, les prescriptions de transport injustifiées coûtent pas moins de 220 millions d'euros par an. Il ne s'agit pas forcément d'abus délibérés mais certains médecins ont la main un peu lourde sur les bons de transport. Pour plusieurs raisons. Parfois, par méconnaissance de la réglementation ou par manque de temps, ils font des prescriptions systématiques. Par exemple, une ambulance pour tous les patients qui sortent de chimiothérapie alors qu'un transport assis suffirait pour la majorité d'entre eux.
Autre problème, par habitude certains médecins envoient leurs patients se faire soigner dans un hôpital très loin de chez eux sans que cela soit justifié. Il peut aussi y avoir une forme de pression de la part des malades qui ont tendance parfois à considérer que le transport est un droit et pas une prescription médicale. Certains prennent un taxi conventionné pour venir à l'hôpital simplement parce qu'ils savent qu'il est difficile de se garer à proximité. Et une fois dans le service, ils demandent à la secrétaire de signer un bon de transport, a posteriori, pour être remboursés.
Les frais de taxis en augmentation
Les frais de taxis ont d'ailleurs augmenté ces dernières années. La part des dépenses de taxis est passée de 24% à 39% en dix ans, alors que dans le même temps, celle des VSL a diminué et celle des ambulances est restée stable. Et il n'y a aucune raison médicale à cela. Il s'agit plutôt d'une logique financière. Les taxis ont un statut à part dans le transport sanitaire. Contrairement aux ambulances ou aux VSL, ils peuvent facturer, en plus du prix de la course, le temps d'approche, le temps d'attente devant l'hôpital et le retour à vide. Au final, un trajet en taxi est facturé 25% plus cher à la Sécu qu'un trajet en VSL.
Cela est donc très rentable pour les chauffeurs de taxis et donc forcément assez attractif. Le nombre de demandes de conventionnement à la Sécu a d'ailleurs explosé au cours des dernières années. Et comme les agréments sont délivrés quasiment automatiquement à partir du moment où le chauffeur exerce depuis deux ans, c'est presque devenu un business. Dans les zones rurales, le transport de malades représente 90 à 95% de l'activité des chauffeurs de taxis. Et les entreprises de transport sanitaire classiques ont aussi flairé la bonne affaire. Elles se sont mises à acheter des flottes de taxis, beaucoup plus lucratifs que les véhicules traditionnels qu'elles préfèrent laisser au garage.
Comment réduire les dépenses ?
Dans son rapport annuel, l'Assurance maladie fait trois propositions qui permettraient selon elle d'économiser 550 millions d'euros. La première consiste à aligner les tarifs des taxis sur ceux des véhicules sanitaires classiques pour éviter l'effet d'aubaine. Ensuite, elle préconise la mise en place d'un système de plateforme de commandes de transports à la sortie de chaque hôpital pour rationaliser les trajets et éviter par exemple que les compteurs des taxis tournent pendant deux heures en attendant le patient. Enfin, elle propose d'allouer aux hôpitaux une enveloppe budgétaire spécifique pour les transports afin de les responsabiliser davantage sur ces dépenses.
Sur le papier, ces propositions paraissent convaincantes. Reste à savoir si ces mesures seront vraiment appliquées. En six ans, il y a eu trois rapports parlementaires, un rapport de la Cour des Comptes et un rapport de l'IGAS pour s'alarmer de la flambée du coût des transports sanitaires avec à la clé des dizaines de pistes d'économies. Aucune n'a vu le jour. Entre le lobby des entreprises de transports sanitaires, celui des taxis, le ras-le-bol des médecins d’être surveillés dans leurs prescriptions et l'inquiétude des patients de voir leur reste-à-charge augmenter… c'est un domaine qui paraît très difficile à réformer…